DEPUIS cinq ans, José Giovanni a quitté la France pour la Suisse. Beau-frère de René Desmaison, le célèbre guide, son amour de la montagne l'a attiré dans les Alpes. Le metteur en scène du « Rapace » a trouvé un confortable refuge dans le chalet qu'il a fait bâtir à 1100 mètres d'altitude, en face du mont Blanc, et qu'il a gaiement meublé en valaisien et en mexicain. Membre du club d'échecs du village voisin, il aime initier les jeunes alpinistes qui viennent a lui et, entre deux films, il a retrouvé, sans se renier, l'équilibre qu'il avait perdu au cours de sa jeunesse aventureuse. On se souvient, en effet, qu'après avoir participé a la Résistance, il passa, à Pigalle, quelques années tumultueuses qui lui valurent quelques difficultés avec les autorités.
Il s'apprêtait, alors, à s'exiler en Australie quand l'un de ses amis, l'avocat Stephen Hecquet, lui conseilla d'écrire les aventures qu'il lui racontait. Ainsi naquit « Le Trou », livre que suivirent bientôt « Le Deuxième Souffle » et "Classe tous risques". Entre-temps, Jacques Becker acheta les droits du « Trou » et engagea Giovanni comme acteur dans sa propre histoire. Il ne retait plus à l'écrivains-cénariste-acteur que de devenir metteur en scène. « En regardant travailler certains futurs confrères, dit-il, je me suis dit que je pouvais en faire autant. Si ça ne marchait pas, je m'arrêterais. De toute façon, ça facilite la mise en scène d'avoir écrit le scénario. Depuis, j'ai tourne six films. Le dernier, «La Scoumoune », va sortir en Janvier prochain. Cette nouvelle méthode a facilité ma vie. J'écris l'histoire, je fais le repérage, je vais chercher les acteurs. Je fais la mise en scène, les producteurs n'ont affaire qu'à moi, tout le monde est heureux. » Pour le premier de mes films, "La Loi du survivant", j'étais très confiant. Quand j'ai voulu réaliser mon second film, « Le Rapace », on a tout de même attendu la sortie du premier pour voir si je pouvais continuer. J'avais alors de fréquents contacts avec Lino Ventura, et c'est un peu à travers lui que j'ai lu « Le Rapace », une Série Noire. Je lui ai dit : « C'est un personnage bon pour toi, mais pas complètement : il boit, et je n'ai jamais pu m'arranger avec l'alcool. » Je ne l'ai d'ailleurs pas écrit en fonction de Lino Ventura. Je ne peux rien écrire pour un acteur. Seulement pour un personnage.
Ce premier travail achevé, je suis parti pour les repérages. Dans le roman, l'histoire était située dans une Amérique du Sud mal déterminée. Je voulais un pays où l'on puisse travailler, j'ai donc choisi le Mexique. Il me fallait un village sans kiosque à musique Napoléon III, souvenir au règne éphémère de l'empereur Maximilien. Il me fallait aussi une belle maison, un train à proximité, qui soit obligé de ralentir au sortir du village, et un grand hôtel pour loger l'équipe de tournage. C'est près de Vera Cruz que je les ai trouvés. C'est alors que J'ai écrit l'adaptation et les dialogues. En septembre 1967, avec des cadres français et une équipe mexicaine, nous avons commencé le tournage. Quelques difficultés nous attendaient. » Sur le pont où nous avions notre train personnel pour tourner, la régie, mal renseignée, croyait que nous serions à peu près seuls. Dix trains par jour y passaient et nous étions obligés, chaque fois, de renvoyer le nôtre à la gare de triage. De plus, il y avait, sous le pont, une passerelle où, pendant des heures, défilaient des caravanes d'ânes. Pour notre tournage, cette passerelle devait être déserte. Alors, nous attendions. Susceptibles et toujours armés, les Mexicains se sont cependant bien entendus avec moi. Il est vrai que les Corses leur ressemblent. Je lançais le poignard avec eux. Ils m'ont prêté leurs chevaux et ils ne le font que pour leurs amis. J'ai même dirigé certaines scènes à cheval dans une hacienda. Qui ne sait pas monter est, pour eux. un minable.
Pour une de nos scènes, il nous fallait une panthère noire. Le dompteur d'un cirque étranger nous en a envoyé une, mais elle est morte pendant le voyage. Il ne lui restait qu'un léopard, qu'il nous a proposé de teindre. Je suis allé le voir après l'opération. Il ne se reconnaissait plus et. complètement anéanti, refusait de bouger. Le film est sorti pendant les événements de mai 1968. Il a assez bien marché et a, heureusement, été repris ensuite pour une seconde diffusion. Je ne peux faire qu'un film par an, adaptation, tournage, exploitation compris. Depuis 1968, je n'ai pas écrit de livre. Pour l'instant, je travaille sur un scénario et j'adapte un de mes romans, mais, pour après, j'ai tout de même un truc dans la tête. Seulement, je veux aussi garder le temps de vivre.
AMI de Jacques Becker, c'est ce dernier qui a présenté Lino Ventura, la future vedette du « Rapace », à José Giovanni. Le Jour même de la sortie en librairie de « Classe tous risques ». « Ventura m'a dit, se souvient Giovanni, que le personnage de mon roman l'intéressait pour l'écran et il m'a, à son tour, présenté Claude Sautet qui, précisément, a réalisé « Classe tous risques ». Depuis, Ventura a tourné de nombreux films d'après ou avec l'auteur des « Aventuriers » : « Il vient souvent me voir en Suisse, dit Giovanni. Il ne fait ni ski ni montagne, mais c'est un vrai sportif qui a confiance dans l'action. Il y a une pureté dans le sport qui peut s'appliquer à beaucoup d'autres activités. Si on oublie les règles du pugilat, on est vite « out », dans le vedettariat. Lino Ventura ne l'oublie pas. D'ailleurs, physiquement même, il a une façon, dans un film, d'entrer, de sortir, de se tenir en face de ses partenaires qui tient du boxeur. Ça lui vient du ring, comme pour Belmondo. Ils ont un placement des jambes caractéristique. Ce qui permet, en outre, à Ventura, de tenir la vedette, c'est qu'il a un registre important. C'est un homme fort, un solitaire et qui peut vaincre l'adversité. Il possède en complément une très grande capacité émotionnelle. Chez lui, l'émotion vient du ventre. Il n'a donc pas besoin de beaucoup de gestes pour l'exprimer. On la perçoit comme il la ressent. C'est un héros fort et fragile à la fois, qui peut donc supporter le poids de grands scénarios. »