Un physique qui, avec les cheveux ébouriffés et le regard volontiers ahuri, rappelle aux anciens Harpo Marx ; une frénésie qui évoque, cette fois pour les jeunes, une autre silhouette célèbre, celle de Woody Allen : ainsi apparaît Pierre Richard qui, ce soir, fait monter la moutarde au nez d'un père puritain, imbu de sa respectabilité d'élu : Claude Piéplu. Le grand public l'a découvert en 1970, dans « Le Distrait ». Un succès. Inconsciemment, les faveurs des spectateurs vont aux comédiens qui incarnent le mieux leur époque. Or, ce distrait, qui faisait la nique à toutes les valeurs et à toutes les notions encore quasi sacrées deux ans plus tôt. se situait dans le droit fil des contestataires de Mai 1968. La suite ne fut pas aussi régulièrement heureuse : un échec avec « Les Malheurs d'Alfred » ; un triomphe avec « Le Grand Blond avec une chaussure noire » ; un plongeon vers les abysses avec « Un nuage entre les dents » ; une remontée avec celle de cette « Moutarde » ; un nouveau naufrage avec, précisément. « Les Naufragés de l'île de la Tortue » ; un repêchage avec « Le Retour du Grand Blond » ; récemment, un décollage avec « Je suis timide, mais je me soigne » et « La Carapate ». En fait, la carrière de Pierre Richard est tout entière en dents de scie. Pourquoi? L'intéressé a admis plusieurs erreurs : « Dans « Un nuage entre les dents ». j'incarnais un personnage dramatique. Or. le public attend que je le fasse rire, rien d'autre. Je sais. moi. que je peux jouer un rôle non comique : le spectateur, non ; et. du moment qu'il ne le sait pas. il ne le croit pas. Je m'en suis aperçu à cette occasion. C'est une des caractéristiques du public français, très différent, à cet égard, du public américain par exemple : il veut connaître à l'avance la couleur des choses. Il n'aime pas les risques. Essayez d'imaginer de Funès dans un rôle dramatique. Je crois que cela ne marcherait pas. Car. quand le public va voir de Funès. c'est pour rire. » Une autre erreur : celle de « L'Aile et la Cuisse ». Le réalisateur du film. Claude Zidi. avait proposé à Pierre Richard le second rôle, au côté, précisément, de Louis de Funès. «C'est une mauvaise histoire, une pantalonnade ». dit le comédien. Le rôle revint à Coluche. Le film fit 1 200 000 entrées.
Mais, tout en reconnaissant ces erreurs (de jeunesse, puisqu'il n'a que dix ans d'expérience du cinéma). Pierre Richard exprime des conceptions très classiques sur le comique à l'écran : « Tout homme est un comique qui s'ignore. Il y a. chez chacun de nous, au moins un détail qui prête à rire. A l'époque où je jouais au cabaret, je pouvais rester des heures à une terrasse, avec mes amis Carmet et Jean Rochefort à regarder défiler la foule. Je vous assure que nous découvrions chez chaque passant de quoi rire, ou du moins sourire, la difficulté, pour l'auteur et le comédien, est. ensuite, de reconstruire un personnage autour du détail comique. » D'une certaine façon, le travail du peintre qui reconstruit entièrement l'objet, le paysage, ou le personnage autour d'un de ses aspects. En matière de cinéma, une conception proche de celle de Tati. qui créait le gag visuel en cadrant à plein écran le petit détail saugrenu. En marge de ses concepts professionnels, Pierre Richard énonce quand il parle, ce qui n'est pas fréquent (« Je n'aime pas les interviews ; on n'en sort vivant qu'une fois sur deux ») — quelques solides (mais parfois sibyllines) formules : « Je suis résolument pour la pagaille, qui permet le développement de la tolérance. »« Mes personnages me ressemblent : ils n'arrivent pas à s'insérer dans la société actuelle. »« Le cinéma est la dernière terre d'aventure, à une époque où il n'y a plus d'Orénoque à découvrir. » « Je n'aime pas me regarder sur l'écran, sauf si je suis entouré de huit cents personnes qui rient. » «On ne s'aperçoit pas que mes héros sont méchants, parce que j'ai les yeux bleus. » ( ?) « La télévision vit du cinéma, qui en meurt (il est résolument anti-TV). Il est inadmissible que les téléspectateurs puissent, pratiquement sans bourse délier, voir des films qui ont coûté dix millions et plus. Comme ces films passeront un jour sur leur écran, ils ne se dérangent plus pour aller au cinéma. » Ils furent tout de même 844 363, en 1974. à « se déranger » pour aller voir « La moutarde me monte au nez ». Pas si mal... Pierre Richard est né (en 1934) dans une famille de petits industriels de Valenciennes. Sa place était déjà réservée dans l'entreprise familiale quand, après le baccalauréat, il ressentit la vocation du spectacle, vocation éveillée par Danny Kaye, pour qui il éprouvait de l'admiration (« Je suis son modeste élève », dit-il). Il suivit alors des cours d'art dramatique au Centre Dullin et chez Jean Vilar. Il débute sur les planches au Théâtre La Bruyère. Puis on le trouve au cabaret, en compagnie de Victor Lanoux, à qui le liera une solide amitié. Dans la carrière de toute vedette ; il y a la rencontre de la première chance. Dans son cas, ce fut. celle d'Yves Robert. Celui-ci le fit tourner « Alexandre le Bienheureux » et, surtout, l'engagera à écrire un scénario : « Si c'est bon. lui dit-il, et je suis persuadé que ce le sera, je t'aiderai à financer la réalisation ». Pierre Richard se mit au travail avec un ami médecin, le docteur Ruellan. Ce fut « Le Distrait ». A la dernière page du scénario, attendait un autre envoyé de la chance : Bernard Blier. Pierre Richard lui envoya son script un après-midi à 15 heures. A minuit Bernard Blier lui téléphonait : « C'est excellent. D'accord pour le rôle ». Lui ne commet plus d'erreurs d'inexpérience.