Article de presse en 1973 .
«COMPARTIMENT TUEURS », est le premier film de CostaGavras, mais le second repris par la télévision, après « Un homme de trop ». « Compartiment tueurs » fut tourné en 1964, en huit semaines, pour cent dix millions d'anciens francs. Un petit budget, même pour l'époque, compte tenu d'une distribution réunissant Yves Montand, Simone Signoret, Michel Piccoli, Pierre Mondy, Daniel Gélin, Jean-Louis Trintignant, Jacques Perrin. Sans l'amitié qui lie tous ces comédiens, composer un générique aussi prestigieux eût été d'autant plus impossible pour un débutant que Daniel Gélin, pour ne parler que de lui, ne fait pratiquement que passer dans le film. Costa Gavras n'était alors qu'un simple « premier assistant » de trente et un ans, ancien de l'I.D. H.E.C., venu à dix-neuf ans de Grèce pour terminer ses études à Paris. « Pour mes débuts, reconnaît-il, j'ai eu vraiment toutes les chances. Des amis qui, non seulement ont lu mon scénario et m'ont encouragé à le tourner, mais ont tenu à le jouer ; un producteur entreprenant et honnête, Julien Derode ; une station de radio, RTL, qui s'est offerte à en assurer le lancement ; enfin l'adhésion immédiate du grand public. » Toutes ces chances n'étaient pas le seul fait du hasard. Costa-Gavras était considéré comme un professionnel accompli par tous les grands metteurs en scène avec qui il avait travaillé, René Clair et René Clément entre autres, qui portent une part de responsabilité dans ce coup de maître de leur cadet. René Clément, qui venait d'avoir Costa-Gavras comme assistant pour « Le Jour et l'Heure », lui avait demandé de ne pas entreprendre un nouveau travail durant les quatre mois qui le séparaient de son prochain film. Et René Clair lui répétait : « Un assistant ne doit jamais rester inactif. Un film terminé, s'il n'a pas trouvé d'autre engagement, il doit s'intéresser au montage ou bien penser au film qu'il ferait pour son propre compte s'il en avait les moyens... »
Cinq millions ou rien
De ces recommandations apparemment contradictoires, Costa-Gavras tint compte à la fois en s'offrant quatre mois de vacances et en cherchant un sujet pour lui-même. Il le trouva dans le roman de Sébastien Japrisot, « Compartiment tueurs », dont il entreprit l'adaptation. Très vite emballé, il chercha à en acquérir les droits. L'éditeur en demandait cinq millions, chiffre qui dépassait évidemment les disponibilités d'un premier assistant. Costa-Gavras proposa, alors, une option, mais l'éditeur voulait cinq millions ou rien. Costa n'en poursuivit pas moins son travail, mais à peine l'avait-il terminé qu'il apprit qu'Henri Verneuil s'intéressait, lui aussi, à « Compartiment tueurs », Costa avait été l'assistant de Verneuil, il alla le trouver. « C'est vrai, admit Verneuil. Audiard et moi travaillons sur ce bouquin, mais nous n'arrivons pas à nous en sortir. Nous allons abandonner... » Rassuré, Costa porta son « script » à Simone Signoret pour avoir son avis. Dans le milieu du cinéma, la sûreté du jugement de la grande comédienne est connue, et c'est souvent qu'elle rend ce genre de service. Costa en avait un autre à lui demander ; il voulait confier le principal rôle féminin à sa fille, Catherine Allégret. Simone Signoret trouva excellente l'adaptation du roman de Japrisot, mais commença par refuser la participation de Catherine, qui avait son bac à préparer. En revanche, elle revendiqua, pour elle-même, le rôle secondaire de la mère Darrès.
Son préféré : Montand
Pressenti pour le rôle de l'inspecteur, Yves Montand se montra réticent parce que Costa tenait à le faire parler avec l'accent marseillais. Il finit, néanmoins, par accepter, et Simone Signoret ne put maintenir très longtemps son refus pour Catherine, « à condition qu'elle continue de travailler pour passer son bac. Catherine rata son bac, mais réussit avec éclat son entrée dans le cinéma. Dans cette entreprise née sous le signe de l'amitié, le reste de la distribution ne souleva aucune difficulté. Pierre Mondy et Gélin durent même insister pour « en être ». Julien Derode. aujourd'hui directeur des Studios de Boulogne, s'entendit avec l'éditeur de Japrisot et produisit le film ; comme il ne pouvait être question d'assurer à toutes ces vedettes un cachet à la mesure de leur notoriété, chacune accepta d'être rémunérée au pourcentage. « Compartiment tueurs » fut. ainsi, l'un des premiers films français financés en participation. Depuis, Yves Montand est resté l'interprète préféré de Costa-Gavras. Le sens de l'amitié aussi est resté : « Etat de siège ». son dernier film, a été produit par la société fondée par l'ami Jacques Perrin, qui n'a pas de vrai rôle dans l'action mais qu'on aperçoit dans deux silhouettes anonymes. A l'inverse de son confrère Marin Karmitz, qui déclare se servir du cinéma pour faire de la politique, Costa-Gavras ne se réclame d'aucun parti : « Je ne pense pas, dit-il, que telle ou telle idéologie puisse assurer le bonheur des hommes simplement parce qu'elle le réclame. Toutes les idéologies ont besoin d'être critiquées et le cinéma peut servir à le faire... » Position dont il s pu mesurer l'inconfort avec « L'Aveu », sévèrement accueilli par les communistes français et soviétiques. « Etat de siège », qu'il a écrit avec Franco Salinas d'après l'histoire authentique de l'exécution, après enlèvement, d'un agent américain par les Tupamaros urugayens a rencontré moins de réticences. Le critique de « Literaturnaia Gazeta » ne trouve à lui reprocher que d'avoir montré les Tupamaros « trop gentils». Costa-Gavras n'entend pas se consacrer exclusivement au cinéma politique. Si on lui proposait un sujet comique ou satirique, il l'accepterait d'enthousiasme. De même, il serait enchanté de travailler pour la télévision. Mais il a eu un aperçu assez décevant de la façon dont les choses se passent, quelquefois, d.ans les projets de coproduction avec l'O.R.T.F. On lui avait demandé une idée de « grande dramatique ». Il proposa un roman-fresque d'un célèbre écrivain français, mais ce projet fut jugé « d'inspiration trop sociale » pour le public de la TV. Le roman en question, c'était « Les Thibault », de Roger Martin du Gard...
CATHERINE ALLEGRET (notre photo) est la fille de Simone Signoret et d'Yves Allégret, metteur en scène de « Manèges » (et frère de Marc, le réalisateur de « Lac aux dames »). Elle avait dix-huit ans et la seule expérience de quelques cachets de figuration, lorsqu'elle tourna « Compartiment tueurs », qui fit d'elle la révélation de l'année 1965. Depuis, après avoir été l'hôtesse du « PopClub », de José Artur, elle a tourné une quinzaine de films, en particulier « Carré de dames pour un as », de Jacques Poitrenaud. « Le Temps de vivre », de Bernard Paul, « Smic, smac, smoc », de Claude Lelouch, « Sex-shop », de Claude Berri et, tout récemment, « Le Dernier Tango à Paris », de Bernardo Bertolucci, et « Les Volets clos », de Jean-Claude Brialy. On l'a vue également au théâtre, à l'Atelier, où le regretté André Barsacq l'avait choisie pour sa dernière reprise de « Ce soir, on improvise », de Pirandello. Catherine a aussi créé la curieuse pièce du douanier Rousseau, « La Vengeance d'une orpheline russe ». « C'est une des comédiennes les plus douées de sa génération, témoigne Costa-Gavras. Il est regrettable qu'on ne lui confie pas des emplois plus consistants... » Costa-Gavras, pour sa part, ne tourne que des films « d'hommes ». Mais Catherine, mariée au comédien Jean-Pierre Castaldi, de qui elle a un enfant de trois ans, a trouvé un rôle qui, pour une fois, n'est pas une composition : dans « Les granges brûlent », de Jean Chapot. elle sera la fille... de Simone Signoret.