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Interview en 1973 :
Pierre Richard : "Le Distrait, c'était moi.."
Ce « Distrait » de cinéma, est à la ville, beaucoup plus attentif. Pierre Richard est, en effet, tout simplement en train, comme auteur et metteur en scène, de monter son troisième film, qui sera fini en septembre, tout en tournant, comme comédien, son cinquième film, avec Annie Girardot et Marlène Jobert, sous la direction de Remo Forlani, dont c'est le premier. Yeux bleus, les cheveux blonds ébouriffés bouclant autour d'un visage étroit, il court, à grands pas, de son appartement moderne du 15é arrondissement à sa salle de montage, puis à la rue de Tournon, où se situe le film. Il monte, descend les escaliers deux marches par deux marches, regardant, toutefois, de temps en temps, si on peut suivre.
En jeans, blouson de cuir, chemise de sport, il ressemble, à trente-huit ans, davantage à un étudiant un peu dégingandé qu'à une vedette : « Le héros de mon film actuel : « Je ne sais rien mais je dirai tout », est, dit-il, un milliardaire complexé par l'argent, qui, par compassion, s'intéresse à des petits voyous. Il se trouve donc en porte à faux avec tout le monde : avec son père, dont il désapprouve le conformisme, et avec les voyous, qui n'ont rien à faire de sa bonne parole. Il finira par se servir d'eux contre son père. »
Lui-même, fils d'un industriel de Valenciennes, connaît bien le nord de la France où il est allé tourner : « Il me fallait, un contexte industriel, explique-t'il. D'ailleurs à Paris, je tourne de moins en moins : les gens sont énervés, surexcités. En province, ils sont beaucoup plus décontractés et ça les amuse.
La TV : une vieille histoire
» Dans le film, mon père, c'est Bernard Blier. Déjà, dans « Le Distrait », nous nous opposions. Il est manifestement le contraire de moi et, dès que nous échangeons deux répliques au cinéma, nous nous injurions tout naturellement. Dans la vie, ça se passe beaucoup mieux. J'ai appris, par les journaux, que « Le Distrait » avait été acheté par la télévision. Ça ne me déplaît pas à cause de l'impact, bien que je ne pense plus travailler directement pour la télévision, sauf en fin de carrière. J'ai cependant peur que la capacité comique du film en soit amoindrie. Un film comique, à mon sens, a besoin d'une salle pour être vu. J'ai regardé récemment à la télévision « To be or not to be », qui avait fait crouler de rire des salles de spectateurs. Dans mon fauteuil, devant mon poste, j'ai seulement souri. En revanche, je pense que le film dramatique, plus intimiste, gagne à être regardé en petit groupe. La télévision est pour moi une vieille histoire. Elle date du temps où nous écrivions pour Michèle Arnaud, Victor Lanoux et moi, des sketches de transition.
» C'est grâce à Yves Robert, avec qui j'avais joué au théâtre « Les Caisses, qu'est-ce ?» et qui me proposa un rôle dans « Alexandre le Bienheureux » que j'ai, soudain, moi qui n'avais jusqu'alors écrit que des sketches, découvert en moi un personnage qui cherchait à se traduire visuellement ; c'est alors que j'ai eu envie de faire du cinéma. Yves Robert m'a encouragé. J'ai écrit un scénario et je le lui ai envoyé. Il m'a répondu qu'il allait produire mes films et ça a été « Le Distrait ». Techniquement, j'étais novice. Mais je me suis entouré de bons techniciens. Je leur ai expliqué ce que je souhaitais faire et je les ai laissés le réaliser.
Mes phobies et mon passé
» Il y a eu quand même une maladresse qui venait de moi. Mais je n'y attachai pas d'importance. J'ai vu beaucoup de films maladroits qui étalent très intéressants. « Le Distrait », c'était moi, que j'ai replacé dans un contexte social. Pour mon second film, « Les Malheurs d'Alfred » c'était déjà un peu moins moi, mais, dans chacun des films que j'écris et que Je réalise, on trouve des choses qui ressortent de mon passé, mes phobies, mon ancienne peur. Dans le dernier, le contexte est constitué par un milieu industriel de marchands d'armes. C'est un milieu qui a été le rnien. » Quand j'ai écrit le scénario du «Distrait », je n'avais pas songé d'abord à Blier comme directeur de l'agence publicitaire qui terrorise son employé et qui est lui-même terrorisé par ses distractions. Mais, au fur et à mesure que mon scénario avançait, Blier me semblait s'imposer dans ce rôle. Et dans mon dernier film, j'ai écrit le rôle du père industriel en fonction de lui.
Distraction orientée
» Dans «Le Distrait », j'ai raconté trente-cinq ans de mes propres étourderies. Ce n'est pourtant pas de la distraction simple, c'est de la distraction orientée, qui rappelle la politique de l'autruche. Quand un problème me gêne ou m'ennuie, je le mets de côté. Je l'oublie jusqu'à ce que la nécessité d'y faire face s'impose. » Dans mes propres drames, je ne suis jamais une victime, sinon en apparence : les vraies victimes, ce sont ceux qui s'opposent à moi. Dans la vie d'ailleurs, je ne suis pas du tout un perdant. Quand j'ai débuté dans ce métier, je ne savais pas du tout où j'irai. Mais Je n'ai jamais douté que j'arriverais à quelque chose. Je dois cependant reconnaître que ça a été une chance pour moi de débuter par le cabaret : c'est un endroit béni où, quand on réussit à faire rire, personne ne vous demande d'où vous venez, ni ce que vous avez fait avant.»
Deux mois de salaire
Pierre Richard, qui a épousé la sœur de Christiane Minazzoli, une danseuse qui lui a donné deux fils aujourd'hui âgés de douze et six ans, se conduit dans la vie comme dans « Le Distrait » : « Je me souviens, dit-il, il y a dix ans, alors que je gagnais au cabaret mille cinq cents francs par mois seulement, être passé à côté d'un magasin de vêtements pour homme. J'y avals remarqué un veston qui me plaisait. Je suis entré. Je me suis fait montrer d'autres vêtements, dont une très belle veste de daim. J'en ai demandé le prix. On m'a répondu : 2 000 F et j'ai enregistré 20 000 AF. Pour ce prix-là, ai-Je remarqué, j'aurais tort de m'en priver. Trois ou quatre vendeurs se sont empressés autour de moi et m'ont proposé cravate et chemise. J'ai emporté le tout après avoir fait un chèque de 2 500 F et je suis sorti, salué très bas. C'est seulement sur le trottoir que j'ai vu le nom de Saint-Laurent sur l'enseigne. J'ai alors réalisé que je venais de dépenser deux mois de mon salaire ! Des sueurs froides aux tempes et les jambes molles, je me suis assis au bord du trottoir, mais je n'ai pas osé rapporter les vêtements et redemander le chèque. Maman, qui avait l'habitude de mes écarts, m'a retenu de l'argent jusqu'à extinction de ma « dette »...