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Fernand Charpin et Orane Demazis
Orane Demazis et Fernand Charpin
Pierre Prevert a gauche du chauffeur
"Fanny "à la scène et à l'écran : un match Harry Baur - Raimu
L'HISTOIRE de la création de « Fanny » — à l' écran et, auparavant, au théâtre — est celle de la plus grande rencontre de boxe cinématographique des années trente. Dans un coin du ring, Raimu, déjà champion de France toutes catégories, du rire des « Gaietés de l'escadron » à l'émotion des « Enfants de la Marne ». Dans le coin opposé, Harry Baur : sans doute moins de dons, mais une grande intelligence du combat et l'auréole de toute une série de récentes victoires dans « Poil de carotte », « David Golder », etc. Au centre, deux arbitres : Marcel Pagnol, le jeune dieu triomphant du jeune cinéma parlant, et Léon Volterra, qui a débuté dans le monde du spectacle en vendant des programmes, y a fait fortune, est devenu propriétaire de « Luna Park » (où il a eu l'idée d'exposer mille pingouins et une baleine), du Théâtre de Paris, du Lido, de toute une chaîne d'autres salles, et d'une grande écurie de courses (dont la casaque, reprise par sa veuve, continue de paraître, en 1979, dans les tiercés). Le premier round se dispute en 1931, chez Léon Volterra, précisément au Théâtre de Paris. La « bande à Pagnol » (car l'auteur est fidèle à ses comédiens et certains auront un rôle dans tous ses films et toutes ses pièces durant près de quarante ans) remporte là, depuis deux ans, l'éclatant succès de « Marius » : mille représentations. Pagnol, qui a un certain talent de plume aussi pour signerles chèques et qui a besoin de regarnir son compte en banque, a imaginé une suite au filon si fructueusement ouvert. C'est « Fanny ». Dans son esprit, il va de soi que « la bande » restera « la bande », Raimu en tête. Mais Léon Volterra n'aime pas Raimu.
Or, celui-ci manque, deux jours de suite, les répétitions de « Fanny ». Il est, paraît-il, allé enterrer un lointain parent. Mais, comme le raconte Paul Olivier dans son « Fabuleux Raimu », Léon Volterra ne le croit pas, ou feint de ne pas le croire, et, à son retour, lui fait une scène. L'incident dégénère. A tel point que le directeur du théâtre dicte une note de service, aussitôt affichée dans les coulisses : « M. Raimu. absent de plusieurs répétitions sans motif valable, est résilié à dater de ce jour. » Pagnol ne peut que s'incliner et, bien entendu, Raimu aussi : c'est Volterra qui détient les clefs de la caisse. Et « Fanny », au théâtre, est donnée avec, dans le rôle de César, Harry Baur (qui sait prendre l'accent marseillais pour avoir été, dans sa jeunesse, cireur de chaussures et marchand d'oranges sur le Vieux-Port). Raimu feint d'accepter son éviction avec philosophie. Mais, pendant dix ans, il tournera le dos chaque fois qu'apparaîtra Léon Volterra. Il refusera les soupers au « Lido », après les séries de succès, pour « ne pas mettre les pieds chez ce Monsieur ». Et ses amis Blavette et Delmont manqueront de le faire tomber d'apoplexie en lui envoyant une complice, fausse naïve, qui fera semblant de le prendre pour Harry Baur et lui demandera d'apposer sa signature sur une photo de celui-ci (Raimu, après s'être mis en colère, comprendra qu'il s'agit d'un canular et signera : « Michel Simon »). La blessure est d'autant plus vive qu'Harry Baur se tire à merveille de l'épreuve. Raimu lui-même peut s'en rendre compte. Il vient voir la pièce, en spectateur, déguisé avec des lunettes noires et une moustache postiche. Manque de chance : ce soir là, Pagnol est là et le reconnaît. « Qu'en penses-tu ? », demande-t-il. Raimu rompt : « Puisque tu m'a reconnu, je peux enlever mes lunettes... »
Le mot d'une ouvreuse
C'est sa façon de prononcer les aveux désagréables : jamais, dans aucune circonstance, Raimu n'a avoué qu'il a eu tort ; il a seulement, alors, abandonné le terrain. Mais Volterra aussi a eu tort. Car quel que soit le talent d'Harry Baur, le public est désorienté. Raimu a trop marqué le rôle de César pour que le public « marche » complètement quand il le voit interprété par un autre. D'autant que Marius aussi a changé de visage : Volterra a remplacé Pierre Fresnay par Berval. Les recettes sont inférieures à celles de « Marius ». Pagnol et Volterra s'interrogent : la pièce exprime-t-elle, par rapport à « Marius », trop d'émotion et le « genre marseillais » ne peut-il faire passer vers le public parisien que la galéjade ? C'est une ouvreuse qui livre la clé. Innocemment, elle dit : « Vous savez : le soir de la première, beaucoup de spectateurs parlaient de Raimu et de Fresnay... » Ce mot met fin au premier round. La pièce est retirée de l'affiche au profit d'une nouvelle création et Pagnol prépare le second round : l'adaptation au cinéma. C'est, pour lui, un grand événement car il va être le co-producteur du film. Il monte des studios à Marseille, engage des techniciens, bref, passe du cinéma d'auteur au cinéma industriel. Il n'a pas le droit, ni les moyens, de se tromper. Il consulte des exploitants de salles : Raimu ou Harry Baur ? Aucun doute : Raimu. Alors, il se tourne vers celui-ci et vers Fresnay. Raimu fait mine de consulter son calendrier pour voir s'il est libre aux dates envisagées. Mais Pagnol sait bien ce que cette fausse hésitation signifie. Non seulement Raimu n'avoue jamais, mais il ne dit jamais « oui » d'emblée : c'est mauvais pour les contrats... En fait, « la bande » est reconstituée.
"FANNY" ET LA CRITIQUE
LE 7 décembre 1931, le critique le plus écouté de l'époque, Pierre Brisson, écrivait dans « Le Temps » : Après les huit cents représentations de « Fanny » — vers 1935 — M. Marcel Pagnol pourra nous donner « Le Fils de Marius », puis « César ou les Aventures d'un grand-père » et plus tard, vers le milieu du siècle, « Les Derniers Jours d'Honorine », suivis de « La Mort de César ». La pièce que nous venons d'entendre s'achève en effet autour d'un berceau qui prend la signification d'une promesse. Sur le coup de minuit, devant un « pitchoun » déjà fort comme un lion, Honorine, Panisse, Escartefigue et le brave César, armé d'un pot de chambre, s'attendrissaient en choeur. L'émotion du public, à ce moment précis, semblait plus incertaine. Mais le succès de « Fanny » reste aussi peu douteux que possible. Tous les attraits de « Marius » s'y retrouvent, avec la même faconde, le même assent, les mêmes artifices et avec plusieurs épisodes qui trouvent dans le réalisme local une réussite encore plus complète. En tant qu'animateur des scènes de la vie marseillaise, Marcel Pagnol demeure imbattable. Il a du sang d'écrivain de théâtre mêlé au jus de bouillabaisse. L'éloquence de la Canebière lui sort par tous les pores. Il est là-dedans comme un poisson dans l'eau. »
Distribution :
Raimu César Olivier
Pierre Fresnay Marius
Orane Demazis Fanny
Fernand Charpin Honoré Panisse
Alida Rouffe Honorine Cabanis
Milly Mathis Tante Claudine Foulon
Auguste Mourriès Félix Escartefigue
Robert Vattier Albert Brun
Marcel Maupi Innocent Mangiapan
Édouard Delmont le docteur Félicien Venelle
Odette Roger Fortunette
Louis Boulle Elzéar Panisse
Annie Toinon Amélie Panisse
Pierre Prévert un voyageur du tramway