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Caroline Cellier et Michel Duchaussoy
Caroline Cellier et Michel Duchaussoy
Michel Duchaussoy et Jean Yanne
Un petit garçon en ciré jaune pêche la crevette sur une plage bretonne, tôt le matin. Puis, l'épuisette sur l'épaule, il traverse le village encore désert pour rentrer chez lui ; un chauffard le culbute et s'enfuit. Les gens du village, accourus, entourent le petit corps inerte, le père survient et découvre son enfant mort. Il jure de le venger. C'est l'ouverture de la tragédie que nous conte le film de Claude Chabrol : « Que la bête meure ».
La vengeance
Une tragédie moderne mais dont Corneille reconnaîtrait tous les signes : coup du hasard, coïncidence, haine, vengeance. A quoi, grâce au cinéma, Chabrol ajoute une dimension lamartienne : l'indicible beauté de la nature, des grèves, de la mer, beauté quasiment insoutenable pour ce père qui fignole, astucieusement, sa vengeance. Cette vengeance le soutient, l'anime, lui donne sa seule raison d'être. Ecrivain, elle est devenue son œuvre, il ne lui survivra pas.
Une beauté grave
Chabrol, en grande forme, traite ce aujet avec une simplicité tragique et une force étonnante. Admirateur passionné de Hitchcock et de Fritz Lang, c'est à Lang, cette fois-ci, qu'il semble dédier son film d'une beauté secrète et grave. Le suspense y est comme détendu, relâché. Rien d'artificiel, de trop prévu. Tout n'est pas sacrifié à l'efficacité immédiate, les temps faibles de l'action contiennent toute une richesse de détails qui donnent aux protagonistes vérité et naturel. On apprécie et on admire ce travail en souplesse.
Un bourgeois repu
Chabrol se donne le luxe de poser sa griffe féroce sur un dîner de famille et une partie de pêche aux crabes qui prennent un relief saisissant. Le dialogue de son complice Paul Gegauff est d'une intelligence profonde qui se garde de trop de brillant. La rencontre de ces deux compères avec Jean Yanne marquera dans l'histoire de leurs carrières respectives. Bourgeois repu, vulgaire, stupide, odieux, cruel, tyran de sa famille et de son entourage, Jean Yanne incarne le chauffard meurtrier avec une force remarquable. Tout spectateur normalement constitué a envie de tuer cette abominable bête venimeuse à la mi-temps du film. Il fallait plus que le goût de la provocation : un véritable courage pour affronter une antipathie si unanime. Le film est certes une réflexion sur la culpabilité et ses degrés, mais il n'en reste pas moins que ce jeune père meurtri, que campe l'excellent Michel Duchaussoy, attire toute la sympathie du spectateur. Il a peaufiné sournoisement sa vengeance ; celle-ci est juste et noble, et puis lui-même est digne, intelligent et sensible. Yanne, en face, est le bouc émissaire chargé de toutes les tares de cette bourgeoisie que Chabrol se plaisait tant à traîner dans sa fange , lorsde ses débuts d'affreux Jojo agressif. La place manque ici pour aborder l'ambiguïté de sa charge contre le chauffard, mais il serait candide de penser qu'il trace seulement le portrait d'un individu malfaisant et ignoble. Quoi qu'il en soit, amorcé avec « Les Biches », confirmé avec « La Femme infidèle », le spectaculaire retour en forme de Claude Chabrol éclate avec « Que la bête meure ». Il serait injuste de ne pas citer Caroline Cellier et Anouk Ferjac qui, pour jouer en mineur, n'en assurent pas moins l'harmonie parfaite d'une œuvre dont la clé est l'intelligence.