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ÇA commence par un pavé qui s'écrase sur la face d'un C.R.S. ; la visière relevée, le visage en sang, celui-ci crie : « Bobo ! ». C'est parti, le second film de Jean Yanne ne sera pas en retard d'irrespect et d'insolence sur le premier. On n'a pas oublié « Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil », charge sauvage d'un iconoclaste rigolard brisant avec délices les objets d'un culte qu'il avait fort bien servi : la radio publicitaire. Yanne pratique volontiers la tactique de la terre brûlée.
Jeu de massacre
Pour sa deuxième réalisation, il a rassemblé ses habituels complices : le scénariste Gérard Sire ; le dessinateur Tito Topin ; le compositeur Michel Magne et rechargé ses armes au vitriol mi-décapant mi-hilarant (cocktail Yanne breveté S.G.D.G.) avant d'aligner pour un tir nourri les syndicats et le patronat, les curés de choc et le M.L.F., les gaucho-caviar et les C.R.S. Ce n'est plus une charge, c'est un jeu de massacre, en rafales et réjouissant. Yanne ne manque pas de souffle et, chez lui, l'imagination a toujours été au pouvoir. Il la laisse cavaler, bride abattue, sur une idée qu'il a dû caresser comme un rêve avant d'en tirer une fable. Imaginez qu'un syndicat de gauche se mette à pratiquer les méthodes du capitalisme qu'il dénonce à grand renfort de meetings et de banderoles, il deviendrait le super P.D.G. indétrônable. -C'est la proposition que vient faire à son oncle, secrétaire général du syndicat en question, un jeune énarque en rupture de patron. Yanne lui-même endosse le rôle. Partant de là, il laisse filer la situation ; elle cascade, rebondit et ses embardées culbutent au passage tous les conformismes. A travers la logique implacable de sa gamberge onirique, Yanne retrouve le bon sens en passant par l'absurde. Il prend au pied de la lettre les revendications, les déclarations d'intention pour en faire des boomerangs. Il s'attaque à toutes les formes des Ecritures sacrées ; ni Marx ni Mao ni Matthieu ne sauraient résister à son humour corrosif. Cet affreux Jojo ne respecte rien : un coup à droite, un coup à gauche, un coup au patronat, un coup aux syndicats, un coup à l'église nouvelle et un autre au M.L.F., tout y passe, avec une sorte d'insolence naturelle, rythme de croisière et pas promenade qui permettent aux gags de fleurir et de s'épanouir à l'aise. Il y a beaucoup de gags dans « Moi y en a vouloir des sous », qui est d'abord, surtout et avant tout une énorme machine à rire. Les acteurs Bernard Blier, Jean-Roger Caussimon, Jacques François, Fernand Ledoux, Paul Préboist, Michel Serrault et Yanne lui-même sauront vous en convaincre. Pour vous mettre seulement l'eau & la bouche, je vous recommande la Square Dance, entre C.R.S. et gauchistes, et l'inauguration de la cathédrale, où le Credo et l'Internationale trouvent d'oecuméniques harmonies.
Pessimisme profond
Yanne ne se réclame pas de Proust, il ne cherche pas la subtilité, c'est le coup de poing. I1 nous assène en ricanant avec son pessimisme profond. Si, après avoir bien ri, un goût acre vous reste dans la bouche c'est que, sous le briseur d'Idoles, le casseur de slogans, sous l'Iconoclaste Jean Yanne, vous avez senti percer la détresse du mora1iste . Tout ce qu'il a, joyeusement, déboulonné devant vous, vous savez bien que vous en avez été, en êtes, et en serez dupes. Gauchiste, nihiliste, anarchiste, poujadiste. et fasciste, « Moi y en a vouloir des sous » est tout cela ; ce n'est pas moi qui le dit, c'est Jean Yanne lui-même et il aurait tout à fait raison s'il ajoutait encore misogyne et démagogue. Je vous l'ai dit : il ne manque pas de souffle, il est aussi rudement futé car, en déplaisant tour à tour à chacun, il finit par plaire à tout le monde, ce qui constitue la meilleur recette, si j'ose dire, pour avoir des sous. Bref, tout le monde il est bête, tout le monde il est méchant, sauf le gentil, l'intelligent Jean Yanne, qui doit se demander jusqu'où il pourra pousser la provocation et le mépris pour être à son tour, déboulonné. Il y a du suicidaire chez ce rigolo, mais son chant désespéré est le chant le plus drôle.