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Patrick Bouchitey et Jean Bouise
Serge Reggiani et Michel Constantin
Serge Reggiani et Patrick Bouchitey
IL paraît que « mon » public (possessif volontiers employé par les distributeurs et exploitants de cinéma), il paraît donc que « mon » public aime les truands et les flics, les holds-up et les caïds, les voyous, les gangsters, leurs pompes et leurs œuvres. Je suis désolée de dire à ces messieurs que « mon » public à moi, je veux dire les lecteurs de « Télé 7 jours », qui m'écrivent assez souvent, « mon » public à moi en a plein le dos, ras le bol et a complètement soupe de la saga des mauvais garçons. Il a envie, « mon » public, qu'on lui parle de « César et Rosalie », des « Choses de la vie », des « Charmes de la bourgeoisie », de l'épopée de « Jérémiah Johnson », d'« Harold et Maud », ou de la vraie nature d'une belle fille comme Bernadette mais il n'en peut plus de voir des monte-en-l'air plus malins qu'Einstein faire des calculs de probabilités vachement précis pour attaquer les banques et donner, avec désinvol ture, des leçons de chalumeau et de chaleur humaine. Parce que s'il y a des copains, des frères, des gars pour qui l'amitié est sacrée à la vie à la mort, c'est bien eux, les casseurs, les truands, les grands voyous !
Romantisme infantile
« Mon » public, qui a sans doute un âge mental supérieur à quatorze ans, cela ne l'amuse plus du tout ce romantisme infantile, ni ces poursuites en voitures, rodéos, braquages, fuite dans les souterrains et amitié scoute. Alors je ne crois pas qu'il apprécie beaucoup « Les Caïds », de Robert Enrico, d'autant moins que c'est un film racoleur avec bluette incorporée (idylle entre un jeune assassin timide et Celia, la fille du caïd défunt) et amorce d'orgie bénigne dans une prison dont les copains (il faut voir Reggiani déguisé en gendarme !) ont ouvert toutes les cellules pour récupérer l'assassin amoureux. C'est qu'on a un grand rêve : aller ensemble refaire sa vie en Australie. Celia berce un kangourou de peluche sur son cœur depuis tant d'années qu'elle a fini par persuader ses amis que c'était dans la poche, la reconversion australienne, mais un régiment de C.R.S. encercle les amoureux transis sur une grève fouettée par les vents et les fauche d'une même rafale. Ralenti poétique et, me semble-t-il, symbolique : une sorte d'envol avant la retombée des corps criblés.
Montage peu efficace
Le manque de rythme qui, même dans ses films les plus réussis, a toujours été le défaut de Robert Enrico, atteint ici des proportions qui étonnent. Un montage aussi peu efficace quand on choisit un sujet aussi « viril », c'est surprenant ! En fait, on a bien du mal à imaginer que Robert Enrico ait délibérément choisi ce sujet; sans doute a-t-il plutôt accepté, mais on ne saurait reconnaître ici ni le lyrisme superbe des « Aventuriers », ni la sensibilité frémissante de « Tante Zita », ni l'humour de « Boulevard du rhum ». Tout ici est faux, composé, farci d'invrai semblances et d'une incroyable candeur. L'interprétation des deux jeunes gens est d'une extrême faiblesse ; Reggiani joue beaucoup moins juste qu'à son habitude ; Michel Constantin ne fait que passer ; seul Jean Bouise garde sa décontraction naturelle et tire son épingle du jeu. Hélas ! Il meurt à la mi-temps...
Jacqueline MICHEL
Note : Premier film de Patrick Bouchitey