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Article de presse en 1973.
L'HABIT ne fait pas le moine. Pour endosser le costume de Rabbi Jacob, de Funès n'en demeure pas moins fidèle au personnage qui assure son triomphe depuis quelque dix ans, spécialement à travers les films de Gérard Oury. Du « Corniaud » à « La Folie des grandeurs » en passant par « La Grande Vadrouille », Louis de Funès incarne toujours cet abominable salaud sournois, d'une méchanceté grinçante, lâche envers les puissants, sadiquement tyrannique envers les faibles. Parlant de ce personnage immuable et apparemment inusable, il ne reste à Gérard Oury et à sa scénariste attitrée Danièle Thompson (sa fille) qu'à inventer chaque fois une nouvelle machine permettant à leur héros de se balancer équitablement entre les deux pôles de l'autorité furieuse et de l'humilité baveuse avec grimaces ad hoc et tics assortis.
Entre Allah et Jehovah
Cette fois-ci, M. Pivert, P.-D. G irascible et raciste, sur le point de marier sa fille avec le fils d'un général deux étoiles, est enlevé comme otage par un révolutionnaire arabe. Pour sauver sa vie, il usurpe le costume et l'identité d'un rabbin et le voilà, lui, le bourgeois catholique français, pris dans un lacis de quiproquos entre Allah et Jéhovah. Sa fille s'envolera même avec son kidnappeur arabe puisque, entre-temps, le leader révolutionnaire est devenu chef d'Etat. L'œcuménisme respire à l'aise sur les sommets. Vous voyez le topo. Si le numéro de Louis de Funès vous amuse toujours, vous rirez d'entrée et d'emblée.
Une cuve de chewing-gum
Il vous suffira de vous laisser porter par des gags préparés assez longuement à l'avance pour ne pas vous faire sursauter. Il y a notamment une cuve de chewing-gum vert dans laquelle plongent courageusement Louis de Funès et des tas de cascadeurs et qui a, parait-il, demandé beaucoup d'études et d'essais au directeur des effets spéciaux. On comprend pourquoi Gérard Oury nous laisse un peu longtemps mijoter dans cette cuve. Sans compter que la vertu même du chewing-gum, c'est sa possibilité d'étirement. Il y a d'autres moments mieux venus et notamment ceux où M. Pivert, accueilli comme le Rabbi Jacob dans le quartier de la rue des Rosiers, doit participer aux danses rituelles. De Funès y montre, avec entrain et souplesse, que ses jambes sont aussi élastiques que son visage. Beau travail de professionnel consciencieux. Claude Piéplu en commissaire gaffeur et avantageux est aussi des plus drôles et il y a, dans le dialogue, quelques répliques qui ne manquent pas de sel. Celle ci par exemple : « Mais si, mais si, le peuple aime qu'on lui mente... » C'est pourquoi Gérard Oury adore raconter des histoires pleines de quiproquos à tiroirs.
Aspirateur
Il vous paraîtra peut-être intéressant de regarder, pour une fois, au fond d'un tiroir plus secret et de savoir comment est mis en chantier et réalisé un film qui va être, comme les précédents ouvrages du tandem Oury-de Funès, un véritable aspirateur à public. Il y a deux ans que le producteur Bertrand Javal et Gérard Oury signèrent un accord qui devait aboutir à cette production. « Je terminais tout juste, à cette époque (septembre 1971), dit Gérard Oury, « La Folie des grandeurs » et je voulais faire rire une fois encore avec la complicité de de Funès. » Il propose à Javal un titre « Les Aventures de Rabbi Jacob ». Le producteur accepte de confiance. Derrière le titre, il n'y a rien encore, sinon de Funès, assurance tous risques et tous rires. Avec Danièle Thompson, Gérard Oury écrit le scénario en quinze mois, le rabbin Josy Eisenberg (producteur de l'émission télévisée « Source de vie ») leur apporte son aide. Suivent cinq mois de préparation, vingt semaines de tournage en France, trois ou quatre en province, une semaine dans le quartier juif de New York. En tout deux ans de travail, 18 millions de nouveaux francs, 680 salariés dont 40 comédiens. 200 figurants et l'équipe de casse-cou de Rémy Julienne concourent à l'entreprise. Le film sort aujourd'hui en même temps dans 128 salles en France, en Suisse, en Belgique et, comme le dit l'agent qui préside à son lancement publicitaire : « Une telle production n'a pas besoin d'être vantée par des moyens annexes. » La critique en l'occurrence.