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Christine Fabrega Paul Meurisse
Michel Constantin Christine Fabrega
1975 : Lino Ventura "Je ne suis pas un acteur, je ne suis qu'un personnage"
Le film mit sept ans à sortir des limbes. Quand, en 1958, le roman de José Giovanni « Le Deuxième Souffle » paraît dans la Série Noire, il intéresse immédiatement Jacques Becker qui songe à engager Pierre Fresnay pour le rôle de Gu Minda, et Jeanne Moreau pour celui de Manouche. Mais Jacques Becker abandonne pour tourner « Le Trou ». Jean-Pierre Melville s'enthousiasme à son tour et imagine Jean Gabin dans le rôle de ce truand qui a du mal à retrouver son « Deuxième Souffle». Mais Gabin ne veut jouer que sur des dialogues d'Audiard, ce qui ne fait nullement l'affaire de Giovanni. On songe alors à Charles Vanel, Spencer Tracy, Broderick Crowford et même de Sica. Finalement, Melville propose le rôle à Reggiani avec qui il vient de tourner « Le Doulos ». Serge Reggiani accepte. Simone Signoret doit être Manouche et Lino Ventura, le commissaire Blot. Mais l'affaire traîne. L'auteur du roman et le metteur en scène se brouillent. Giovanni ne supporte pas la passion exclusive dont Melville s'est pris pour son histoire : il entend la traiter comme s'il en était l'auteur. Giovanni préfère saborder l'affaire.
Elle refait surface quelques années plus tard, le différend entre les deux hommes s'étant apaisé. Mais Melville se heurte à nouveau à des problèmes de distribution. Reggiani n'étant plus libre, le metteur en scène desespère de trouver le comédien qui pourra interpréter ce fameux Gu Minda... jusqu'au jour où il découvre qu'il l'a en réalité déjà engagé. Prévu pour être le commissaire Blot, Lino Ventura peut en effet très bien incarner le redoutable truand. Par acquit de conscience, Melville fait des essais de « tête de dur » avec cicatrice et moustache, mais décide finalement que c'est encore avec sa tête de tous les jours que Lino Ventura est le plus convaincant.
Reste à trouver le commissaire Blot. Paul Meurisse accepte. Mais avant que Paul Meurisse, LinoVentura et Raymond Pellegrin, auquel Melville tenait également beaucoup, soient tous les trois libres en même temps, le metteur en scène devra encore attendre patiemment trois ans. Sorti en 1966, le film remporte un très grand succès. Pour Lino Ventura c'est la consécration. Jusque-là, il était un peu le brillant second, juste derrière les grandes vedettes comme Belmondo, Gabin et Bourvil. Cette fois, il se retrouve au premier rang. Mais ce succès va l'enfermer encore un peu plus dans sa légende, née avec « Le Gorille vous salue bien » : celle d'un « dur » tout en muscles. Une légende qui l'agace prodigieusement. A l'époque, il ne pouvait rencontrer un journaliste sans grogner comme il sait si bien le faire à l'écran : « Alors, vous aussi vous allez me demander si je dors avec une mitraillette sous mon oreiller, si je transporte de la cocaïne dans le coffre de ma voiture ou combien de filles travaillent pour moi sur les trottoirs de Paris ?»
Un remède infaillible
Maintenant, il semble en avoir pris son parti. Et puisque des rôles comme celui d'un père au cœur d'or mais à la main un peu leste dans «La Gifle », ne peuvent éclipser ceux de truand ou de flic, il continuera sans trop de regrets à être l'un ou l'autre. Dans son dernier film, « Adieu Poulet », qu'il vient de terminer avec Pierre Granier-Deferre, Lino Ventura sera une fois de plus, un flic particulièrement énergique. Et puis, dans le fond, cette légende ne l'agace que lorsqu'il le veut bien. Pour s'en défendre, il a trouvé un remède infaillible : l'ignorer totalement et cesser d'être un « acteur » une fois sorti des studios. Il prétend même, sans rire, devant ses admiratrices, que son contrat lui interdit de signer des autographes. Dans sa villa de Saint-Cloud, on ne peut trouver aucune photo, aucun article, aucune affiche, pas le moindre souvenir de son métier d'acteur. « Je vais au studio, dit-il, comme d'autres vont à l'usine. Je fréquente le moins possible le zoo ambulant du métier. Je n'ai été au festival de Cannes qu'une seule fois et encore douze heures seulement. » Cette prudente réserve ne l'empêche nullement d'avoir la passion de son métier et d'y déployer une conscience professionnelle apprise auprès de Jean Gabin. Il s'impose la lecture de tous les scénarios qu'on lui envoie. Quand il en accepte un, il en discute longuement avec le metteur en scène, faisant modifier le dialogue quand il ne le « sent » pas. « Comme je vois l'histoire avant le rôle, il faut que je participe et que je croie à cette histoire. Car je ne suis pas un acteur, moi, capable d'être aujourd'hui un amoureux avec un bouquet de violettes, demain Richard III et après-demain un employé du gaz. Je ne suis qu'un personnage, rien de plus.
CHRISTINE FABREGA DÉPLUT A MANOUCHE (LA VRAIE)
C'est en regardant la télévision que Jean-Pierre Melville découvrit la comédienne qui allait incarner Manouche, la maîtresse de Gu. Depuis plusieurs semaines, il examinait attentivement l'animatrice du jeu Le Mot le plus long , Christine Fabrega, et devenait de plus en plus convaincu qu'elle était exactement celle qu'il recherchait. Un soir, il l'appela au téléphone. « Vous êtes mon personnage à n'en plus douter, lui dit-il. Vous êtes un « condensé » des deux actrices que j'avais en vue. Voulez-vous accepter le seul rôle féminin de mon film ? » Christine Fabrega, bien sûr, accepta, mais avec d'affreux battements de cœur. Si elle avait suivi des cours de comédie avec René Simon et donné la réplique à Marie Bell dans « Phèdre », elle n'avait jamais fait de cinéma. « Mais tous les comédiens se montraient d'une telle gentillesse, avoue-t-elle, que j'en oubliai assez vite mon trac. » Ce rôle, salué par la critique comme étonnant de vérité et de naturel, lui permit d'aborder d'autres films, comme « Les Risques du métier » avec Jacques Brel et, l'an dernier, « Les murs ont des oreilles », avec Louis Velle. Mais Fabrega-Manouche eut le malheur de déplaire à une autre dame : Mlle Germain, dite Manouche et connue comme la veuve du truand Venture dit Carbone. Elle intenta un procès à Giovanni pour utilisation abusive d'un surnom célèbre. Elle fut déboutée. Depuis elle a, à nouveau, fait parler d'elle en racontant sa vie mouvementée, d'abord à Roger Peyrefitte, puis à Alphonse Boudard qui ont accepté d'être ses porte-plumes.