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Interview de Louis de Funès en 1976
VETU d'une veste rayée rouge et vert, l'œil bleu, le cheveu ras, Louis de Funès fait sérieux. Sa cravate est classique, son maintien bourgeois, sa mimique à l'économie. Où est donc passé le de Funès d'antan ? Qu'on ne s'y trompe pas : le comique, pour lui, c'est du cinéma ; à la ville, M. de Funès serait plutôt anxieux, préoccupé et convalescent. Il y a juste dix ans, enfermé huit heures par jour dans son appartement du parc Monceau, qu'il vient de vendre, il préparait « Le Grand Restaurant » avec le metteur en scène Jacques Besnard, le scénariste Jean Hallain et le compositeur Jean Marion. « Je participais pour la première fois à la réalisation d'un film », dit-il. Dans ce qu'il appelait son usine à gags », il fallait que l'un des trois fasse rire les deux autres. Le gag était voté à la majorité absolue. En patron de restaurant dans le film que vous verrez ce soir, Louis de Funès n'a pas hésité à « rajouter de la sauce ». A grands renforts de clins d'oeil, de plissements de nez, de larges gesticulations, il a fait ce qu'on attendait de lui : le clown.« Attention, je n'ai pas la recette », s'esclaffe-t-il. Dans son dernier film, « L'Aile ou la Cuisse », il pratique une autre sorte de gastronomie et de jeu. « Au lieu de préparer, dit-il, je goûte dans l'assiette des autres. Vous voyez, c'est de tout repos. Ce film a même été un délassement. Ce n'est pas toujours le cas : certains de ceux que j'ai tournés ont été une véritable torture. J'ai décidé de changer mon jeu, de devenir un comique tranquille. J'en avais assez de hurler, crier, taper, jouer les petits ou les gros chefs tyranniques, les mufles autoritaires. Je ne veux plus être un féroce. Il n'est pas nécessaire de donner un coup de pied dans les fesses de quelqu'un pour le faire bondir ; un coup d'épingle suffit. C'est moins spectaculaire, mais l'effet comique n'en est pas moins aussi efficace. C'est vers ce comique-là que je veux évoluer, mais ne me faites pas dire que j'envisage de démissionner du rire. » Je n'aime que ça, scande-t-il, en marchant de long en large. Plus je vieillis, plus je rêve de faire partie de la bande des « grands » du rire : Laurel et Hardy, Buster Keaton, Chaplin. Mes films préférés sont « Les montagnards sont là »,« Bons pour le service », « Les Compagnons de la nouba ». Depuis l'âge de six ans, je les aime et je les regarde sans me lasser. J'ai, chez moi, une cinémathèque. Tous y sont. Dans « Ornifle », d'Anouilh (Hé ! oui, j'ai joué Anouilh), je disais : « Je suis un vieux petit garçon sans grandes exigences. » En fait, j'ai bien quelques exigences, mais je suis vraiment un vieux petit garçon. Les grandes personnes m'ennuient à mourir. Toutes. Celles qui font de la politique, c'est le comble. D'ailleurs, comment peut-on gagner sa vie en imposant ses idées tout en ignorant celles des autres ? Moi, je n'ai pas envie qu'on me dicte doctement ma conduite. » Il s'arrête un instant : « Dites, ne me faites pas « parler comique. » Il y a des journalistes qui écrivent avec des « pouic », « paf », « toc », ce que je leur dis. Ils pensent faire plus drôle. Le texte ne me paraît pas très important dans les films comiques. De toute façon, quand les gens rient, ils ne l'entendent pas. Moi, j'ai envie de tourner un film muet où tout serait visuel.»
Il y a vingt ans
Louis de Funès, pris par son sujet, gesticule, va, vient, ne tient plus en place. «Hélas ! les avteurs comiques sont encore plus rares que les acteurs coniques, soupire-t-il. Je reçois des quantités de scénarios où on me propose des grosses usines pour partenaires, comme dans « Le Grand Restaurant ». Sinistre... » Quand on parle à Louis de Funès de la télévision, il est enthousiaste comme téléspectateur, plus que méfiant comme acteur. « J'adore regarder mes vieux films, je les revois tous avec plaisir. Ils n'ont pas trop vieilli. J'aimais aussi Guy Lux, qui faisait .très bien son métier. La « télé », je la trouve bonne à 80 %, mais, si j'en faisais, j'aurais trop la trouille d'être dans les 20 %. C'est très dangereux. Un mauvais metteur en scène ou un technicien qui se trompe de bobine, et vous vous « écrasez ». » J'ai débuté à la télévision il y a vingt ans, quand on réalisait des dramatiques en direct. Je me souviens d'avoir tourné « Les Joueurs », de Gogol, avec Claude Barma. Un technicien du son me flanquait des grands coups de perche dans les jambes ! En direct, Alexandre Rignault devait ouvrir une bouteille de Champagne. Il la brisa et se coupa. Serein, il me lança « Ça coupe de Champagne» et disparu en pouffant, nous laissant seuls sur le plateau à imaginer une réplique. A ce moment-là, on répétait et on enregistrait dans la foulée, jusqu'à cinq heures du matin... » Il ajoute : « Si on me proposait une très bonne histoire, avec un bon metteur en scène, peut-être reviendrais-je à la télévision, mais, méfiance ! » En attendant, de Funès préfère soigner son jardin. Les escargots et les coccinelles y sont revenus parce qu'il n'utilise aucun insecticide. Il regrette, en revanche, que les poireaux, cette année, à cause de la sécheresse, ne soient pas ce qu'ils auraient dû être. Il a passé les fêtes de fin d'année en famille, dans sa propriété de Loire Atlantique. Il souhaite ne plus aller que rarement à Paris. Faire un film par an, pas plus. Comique, bien sûr !
LE GOURMAND AU REGIME
Le modèle du « Grand Restaurant », c'est « Ledoyen », célèbre établissement des Champs-Elysées, et M. Septime, interprété par Louis de Funès, n'est autre que Gilbert Lejeune, le patron. Cet endroit célèbre, l'un des plus vieux de Paris puisqu'il existait déjà sous le Consulat, fut reconstitué en partie en studio pour les besoins du film. Louis de Funès, autre fois très gourmand, est, depuis son accident cardiaque survenu au printemps 1975, tenu d'observer un régime très strict : plus d'alcool, viande grillée, légumes cuits à l'eau. « Ma femme est la seule qui sache cuisiner pour moi, dit-il. Elle réussit à me mitonner des petits plats en sauce sans aucune matière grasse, cuits à la vapeur et, pourtant, succulents.»