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Article de presse au moment de la sortie du film : Ils ont « un baobab au creux de la main ». Jean-Claude et Pierrot, n'ayant pas la moindre envie de travailler, font les quatre cents coups. Ils sont inséparables en toutes circonstances, même les plus « scabreuses » aux yeux des conventions, de la morale d'une société qui les appelle « voyous ». Au départ, ils ne songent qu'à s'amuser, jouant de mauvais tours aux passantes terrorisées, empruntant de grosses voitures le temps d'une randonnée. Puis les jeux tournent mal...
La bande à Bonnot
C'est un portrait complexe que Bertrand Blier nous trace de ses personnages : curieux mélange de candeur et de cynisme, de brutalité et d'innocence. Instinctifs comme de jeunes animaux, c'est dans leur virilité qu'ils placent leur vanité : bien mal en l'occurrence, puisque, se vantant immodérément de leurs pauvres prouesses, ils ignorent tout des raffinements du plaisir. Dans ce domaine comme dans tous les autres, ils sont surtout des gosses. Témoins leurs caprices, leurs rages incontrôlées, leurs jeux : ne vont-ils pas jouer à la bande à Bonnot ? Tout cela sans prendre le temps de réfléchir : il leur arrive même de ramener à sa place, après la promenade, une voiture empruntée, sans penser une seconde qu'ils peuvent tomber sur un propriétaire haineux, et que ce sera l'engrenage... « Il n'y a pas d'erreur possible, on est bien en France. » Cette terrible petite phrase, dans une scène où viennent de se manifester la mesquinerie, l'intolérance et le racisme, donne le ton. N'allez pas croire pour autant que c'est un film à thèse. S'il suggère comment une certaine société engendre naturellement la délinquance, il n'entreprend pas de démontrer, ni d'analyser un phénomène. Ses personnages, il ne les excuse ni ne les condamne. Simplement, il ne les juge pas.
Hors des sentiers battus
Adaptant son propre roman à succès, « Les Valseuses », Bertrand Blier s'écarte des sentiers battus, du train-train du cinéma français. On aurait mauvaise grâce à lui reprocher certains dialogues trop « écrits » ou certaines invraisemblaces, car il se moque superbement du réalisme à courte vue. On pourra être choqué de la verdeur du langage qui nous réserve, comme dirait Brassens, « de pleines bouches de mots crus ». Voire se scandaliser de certaines scènes dont les images ne nous épargnent rien, au moins dans les limites du champ de la caméra. On aurait tort, sans doute, car si rien n'est éludé, rien n'est gratuit. Ces personnages vivent, ils ont une existence, une épaisseur indéniable. Bertrand Blier nous donne — et nous en avons terriblement besoin dans le cinéma français — une œuvre forte, originale, maîtrisée, riche d'invention et de talent.
C'est aussi l'œuvre d'une équipe. On savait déjà que Gérard Depardieu (JeanClaude) serait la révélation de l'année : on n'a pas loué en vain son naturel, sa décontraction, cette rare alliance de sûreté et de nuances, de violence et de fragilité. Patrick Dewaere (Pierrot) réussit à n'être pas écrasé par un tel partenaire, ce qui est presque un tour de force. Autre révélation des « Valseuses » : Miou-Miou, la petite shampouineuse qui devient l'égérie forcée du duo. Jeanne Moreau assume le rôle périlleux de la femme sortant de prison. La musique, signée par Stéphane Grapelli est belle. Nous aurions comme une envie d'applaudir.
Gérard Lenne