Toutes les images sont cliquables pour les obtenir en plus grand.
Interview d'Yves Allégret en 1971
J'ai tourné "Dédée d'Anvers" à Joinville
AVANT la guerre, et juste après, le film « d'atmosphère » était un produit national français, exactement comme le western était américain. Un folklore qui avait pour toile de fond le « milieu » — mot révélateur — avec ses filles et ses proxénètes à casquette, évoluant sur le pavé gras de pluie, à la lumière blafarde des réverbères. Ce folklore avait ses poètes, Pierre Mac Orlan et Francis Carco ; ses chanteuses dites « réalistes » ou, curieusement, « à voix » — Lys Gauty, Fréhel ou la grande Damia — dont la dernière en date fut Edith Piaf ; ses cinéastes, Marcel Carné ou Yves Allégret. Une des dernières productions du genre, « Dédée d'Anvers », Yves Allégret la tourna en 1947. « Je crois que ce film, dit le réalisateur, a été une sorte de pont entre ce qui avait été fait avant et ce qui a été fait après : plus de réalisme et moins de poésie convenue. Le personnage incarné par Simone Signoret, dont c'est au fond le premier grand rôle, était l'héroïne d'un bouquin médiocre d'Ashelbé, qui m'avait intéressé.
Le bourgmestre d'Anvers
Je l'ai entièrement remanié, avec Jacques Sigurd, pour les besoins du film. Et ce film, avant d'arriver au terme du tournage, a connu de multiples avanies. En effet, l'équipe comptait tourner à Anvers même. Mais le bourgmestre, horrifié par le scénario, refusa tout net l'autorisation de filmer dans les rues de le ville. Résultat : il fallut reconstituer un immense décor aux studios de Joinville. Cela fit, évidemment, une brèche énorme et imprévue dans le budget. Mais le producteur, Sacha Gordine, en avait vu d'autres. Homme délicieux, un peu fou et d'une invention extraordinaire, il arrivait toujours à financer les films qu'il entreprenait, mais il n'avait jamais un sou sur lui. Il vendit « Dédée » d'avance — comme il le fit, par la suite, pour « Orfeu Negro » — pour pouvoir avancer dans le tournage. Les comédiens attendaient leur argent. L'équipe aussi. Mais tout le monde adorait Sacha Gordine. Dans le film, il fallut opérer comme dans les opéras-comiques de légende : trois ou quatre malheureux figurants, par leurs allées et venues, leurs accoutrements diversifiés, donnaient l'impression d'une foule. « Nous avons tourné pen-dant dix-sept nuits au studio. Vers la fin, il n'y avait pas un sou en caisse. Les directeurs du studio nous avaient interdit l'entrée des lieux, ne voyant pas venir le moindre écu. Le veilleur de nuit fut soudoyé par nos soins : nous arrivions au soir, comme des voleurs, et nous repartions au matin, avant l'arrivée des directeurs. Nous avons, même, failli les croiser dans les couloirs, un beau matin. Mieux encore, Sacha était tellement aimé qu'il arriva à convaincre le restaurateur du studio, et son bar fut transformé en hall de gare pour les besoins de quelques séquences. Tout le monde était complice. A la fin des fins, la pénurie d'argent fut telle que, pour quelques extérieurs, que nous avions tournés à Gand, c'est un ami à moi qui a avancé l'argent pour y aller et même prêté sa voiture. » Pour Yves Allégret, c'était le bon temps. « Dédée d'Anvers» fut sélectionné pour le Festival de Cannes 1948, puis pour celui de Venise. Il ne put courir toutes ses chances, parce que ni Sacha Gordine ni Yves Allégret ne purent s'y rendre, faute de pouvoir régler les quelques nuits d'hôtels et le billet de chemin de fer que cela nécessitait. Et, pourtant, « Dédée d'Anvers » battit des records de recettes et rapporta beaucoup d'argent à ses distributeurs. « Il a merveilleusement marché»
Simone Signoret :-Je fais ce qui m'amuse
DE gon vrai nom, Simone Kaminker, Simone Signoret a pris son pseudonyme de scène en souvenir de l'illustre acteur Gabriel Signoret, qu'elle admirait beaucoup. Remarquée dans « Macadam », de Marcel Blistène, son rôle titre dans « Dédée d'Anvers » lui donna la gloire et lui valut une carrière internationale en Angleterre et en Italie. En 1950, Simone Signoret épouse YvesMontand, avec qui elle joue « Les Sorcières de Salem », d'Arthur Miller, en 1956. En 1962, elle reçoit un Oscar pour son interprétation des « Chemins de la haute ville ». Elle fait carrière en Amérique, où elle tourne « La Nef des fous », son plus grand rôle depuis « Casque d'or ». Simone Signoret déclara un jour en parlant de son métier : « SI ça n'avait pas marché, qu'est-ce que j'aurais fait ? Eh bien ! je crois que je n'aurais pas changé de métier ! » Et elle conclut : « Quand je pars de chez moi pour aller travailler, je me pince toujours et je me dis : « Je fais quand même ce qui m'amuse le plus au monde ! » Une femme heureuse. Combien pourraient en dire autant ?