Toutes les images sont cliquables pour les obtenir en plus grand.
Pascale Roberts Pierre Tornade
YVES BOISSET, trente-cinq ans, contrairement à beaucoup de ses aînés, ne se réclame pas de sa jeunesse. Il a d'autres atouts dans son jeu : à son palmarès, trois films choc : « Un condé », « L'Attentat », « R.A.S. » dont l'efficacité a su toucher un large public. Bien qu'il s'y entende comme pas un à ficeler une histoire et à tricoter un récit, le cinéma n'est pas, pour Boisset, une fin en soi mais le plus sûr moyen de se faire entendre quand on a quelque chose à dire. Il a toujours eu des choses à dire. Avec « Dupont Lajoie » il crie que le racisme est parmi nous, toujours tout proche, prêt à se déchaîner à tout moment, et il le démontre.
Dans le Paris désert du mois d'août, à l'aube d'un petit matin gai, les Lajoie (père, mère et Léon, dix-huit ans, fils docile et respectueux à la limite de la crédibilité) chargent leur caravane, bouclent la porte de leur bistrot et foncent en direction de l'autoroute du Sud bouchonnée par le rush vacancier. Destination : le camping du soleil, sur la côte où, côte à côte, ils vont retrouver les habitués des années précédentes devenus des « relations » de vacances : l'huissier alsacien et son épouse gourmée qui n'aime que la grande littérature (elle lit Guy des Cars), le jovial fabricant de soutiens-gorge, sa femme pulpeuse et leur fille, Brigitte, seize ans, qui flirte avec Léon sous l'œil attendri des mères.
Dès le dîner des retrouvailles, le ton est donné : saucisson, vin rouge, plaisanteries grasses et regards coulés du père Lajoie vers la tente où Brigitte se déshabille en ombres chinoises. Par touches progressives, Yves Boisset campe l'atmosphère vacancière et son laisser-aller, installe ses personnages satisfaits et les laisse se déboutonner. Le dialogue (peut-être tout de même un peu épais) souligne quelques traits et, soudain, derrière la médiocrité bonasse, la gauloiserie bien de chez-nous, la franche rigolade, la vulgarité, se profile la bêtise triomphante, la vraie mère de tous les vices. Elle va devenir l'héroïne du film transformant ces braves caravaniers en fous meurtriers. Un coup de chaleur monte à la tête de Lajoie, il culbute Brigitte dont les vertèbres cervicales ne résistent pas à l'assaut. Bon père, bon époux, bon Français, Lajoie a violé et tué. Il n'en revient pas. Mais il trouve vite par quelle lâcheté se débarrasser du cadavre en le déposant sur le chantier où travaillent des Arabes. La police enquête, pas assez vite, pas assez bien au gré des campeurs qui crient vengeance. Rameutés par un para nostalgique à la casquette symbolique, quelques-uns d'entre eux, dont le père de Brigitte égaré par la douleur et le sinistre Lajoie, improvisent une « milice » et se rendent au chantier pour une « ratonnade » en règle. Les coups de barre de fer pleuvent avec une rare violence sur quatre Arabes innocents, dont l'un sera tué. A l'honnête policier qui veut aller au bout de la vérité, les instances supérieures expliqueront qu'il y a des choses que l'on ne dit pas et l'affaire sera classée.
Une fin aménagée
C'est peut-être là, sur cette situation définitivement odieuse et qui commande l'indignation du spectateur, qu'Yves Boisset aurait dû terminer son film. Il a préféré imaginer que l'un de ses frères arabes venait venger la victime chez Lajoie, tranquillement de retour à son zinc et déjà en train de raconter à ses pratiques « comment il leur avait fait voir qui il était à ces bougnoules ». On peut discuter cette fin un peu trop aménagée, trop romanesque, peu vraisemblable et qui ne colle pas avec le réalisme du film. De même peut-on reprocher à Boisset son manichéisme et que seuls un Italien et un pied-noir (parce qu'ils parlent leur langue et connaissent les Arabes) tentent d'empêcher l'expédition punitive et gardent la tête froide quand tout le reste du troupeau vacancier se partage en salauds passifs et en salauds actifs.
Le fléau du racisme
Tout est exagérément démonstratif dans ce film aux traits un peu lourds mais, ce qui est remarquable, c'est la clarté avec laquelle Boisset analyse, au fil des événements, le fléau du racisme, et c'est aussi le virage de la farce au drame, puis à la tragédie, tout en passant par une satire très drôle d' « Intervilles ». Et puis le film est joué : il y a déjà longtemps que l'on sait que Jean Carmet dissimule sous son allure de Français moyen un très grand talent d'acteur. Là, il le prouve : la voix, le geste, l'œil : il burine le personnage et réussit magnifiquement sa conversion en bourreau-Lajoie, lui qui, si souvent, joua les victimes. Tous ses partenaires confèrent également au film un ton de naturalisme qui en fait la force. On y croit. Et il y a de quoi trembler.