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Interview de Michel Simon en 1971
Michel Simon : "Je ne jouerai jamais plus..."
IL a renoncé à tout — sauf à le dire. Souriant, caustique, amer, naïf, candide, diabolique, écorché vif, féroce, dans la même seconde pleurant de rire et pleurant tout court, désespérant de tout et optimiste à tous crins, doux comme l'agneau qu'on égorge et ivre de fureur assassine, attendri et vitupérant, ayant décidé de refuser tous les rôles mais continuant de Jouer celui dont il s'est, de tout temps, le mieux délecté, le sien, Michel Simon bougonne avec plus de vigueur que jamais. Vieux gamin de soixante-seize printemps (il est né le 9 avril 1895), s'il est, ce soir, un grand-père exemplaire dans ce film de Jacques Poitrenaud tiré d'un charmant roman de Catherine Paysan, « Je m'appelie Jéricho », c'est bien par un de ces heureux accidents dont sa carrière abonde. Car il n'a rien, lui, d'un aïeul blanchissant dans la sérénité d'une retraite sans passion. Les années qui passent semblent, pour lui, remonter le temps à l'envers ; plus jeune que jamais, le voici refusant tout ensemble la sérénité et la retraite : depuis deux ans, il ne vit plus à Paris que dans la chambre minuscule du quartier des Halles où il logeait à vingt. Il possède toujours, cependant, sa fameuse maison de Noisy-le-Grand, célèbre pour avoir reçu avant lui, une maltresse de Gambetta, Alphonse Allais, Courteline, le peintre Théophile Poilpot. « Poilpot, Gambetta : c'était déjà la maison de la contestation. » Il a abandonné la maison en prenant bien garde d'emporter à ses semelles la passion contestataire qui la hantait. La volière est encore pleine de bengalis ; Lolita, le perroquet, y déteste toujours cordialement son voisin le mainate ; il y a toujours, au mur du premier étage, la « Charité romaine », de Véronèse ; mais Michel Simon n'y revient plus que par hasard.
Des films dans les bronches
« On a saccagé mon Jardin, cassé les vitres de la verrière sous laquelle poussaient le figuier et la vigne auxquels les amis venaient, l'été, cueillir leur dessert ; on a pillé la chambre forte où était entreposée ma collection de vieux films, dignes de la Cinémathèque française ; ils pendent, aujourd'hui, aux branches du jardin. Un crève-cœur. J'ai renoncé à y habiter. » Il a aussi renoncé au théâtre. Ecœuré par la condamnation judiciaire qui a sanctionné ses démêlés avec René Dupuy, directeur du théâtre Gramont quand il triomphait avec « Du vent dans les branches de Sassafras », il s'est juré de ne plus remonter sur une scène française : « Si M. de Moro-Glafferi avait encore été en vie, on m'aurait rendu justice. Quand il s'occupait de mes affaires, tout était réglé en un quart d'heure. Depuis qu'il est mort, je suis un pauvre orphelin. » Bien que cette affaire (fâcheuse) soit, aujourd'hui, vieille de près de quatre ans, elle continue de l'ulcérer comme s'il venait de s'entendre condamner à l'instant même. Voilà six mois, il a même causé un début de scandale à la TV, en voulant l'évoquer sans crier gare, au cours de l'émission de variétés en direct, « Annie sur la 2 », où il était seulement venu, en principe,pour chanter « Comme de bien entendu »... « On a coupé l'image et le son en catastrophe en me disant que je devais rendre l'antenne... comme si l'on était à quelques minutes près quand on en a quarante de retard ! Mais, à la sortie, les machinistes sont venue me serrer la main. Partout, je conserve des amis. » Les derniers en date sont des Russes. Il les a conquis en s'adonnant à sa dernière passion : les voyages. Au gré de l'un d'eux, il est ainsi aller se faire nommer mineur d'honneur à Donetz, en U.R.S.S., et passer trois soirs à la télévision.
Vodka à gogo
« Au moment de repartir, Il me restait huit cents roubles sur mon cachet. Les Russes avalent été si adorables que j'ai tenu à les leur restituer à ma façon : je les ai transformés en vodka, j'ai invité tous mes amis. Le lendemain, on avait bu jusqu'à mon ultime kopek. Mais cette nuit fut une des plus grandioses de ma vie de nomade. » Au début de cet été, il était allé cacher dans la ville de son enfance, où il dispose d'un pied à-terre, un instant de faiblesse inavouable, de fatigue surprenante : un début de dépression nerveuse. Mais Genève l'a écœuré ; il n'y a pas retrouvé le décor qu'il avait connu. Il n'y a pas, non plus, retrouvé son enfance ; cela est plus naturel, étant donné qu'elle l'habite toujours, plus intacte que jamais. Cette déception lui a rendu toute sa verdeur. Voilà trois semaines, il s'est souvenu qu'outre sa maison délaissée de Noisy, sa chambre des Halles et son logis genevois, il possède une villa à La Ciotat : « Un endroit que j'aime parce que les gens y pratiquent au plus haut point l'art de ne pas travailler. » En conséquence de quoi," débordant à nouveau d'amour de la vie, il a bouclé sa valise de pauvre orphelin, sauté dans le premier avion qui lui a plu. Et qui n'allait évidemment pas vers La Ciotat !
Marie Dubois : "Ce film n'a pas eu de chance"
CE sacré grand-père est un film qui a Joué de malheur : il est sorti en mai 1968 et n'a pas été beaucoup remarqué. En le diffusant, la télévision lui offre une seconde chance. Pour ma part, je garde de son tournage trois souvenirs excellents. D'abord, j'y ai appris ce qu'est un grand comédien en voyant, chaque jour, jouer Michel Simon. Ensuite, j'ai découvert une des plus belles régions que j'aie vues, la chaîne du Lubéron, entre Apt et Avignon, où furent filmés les « extérieurs » ; enfin, je m'y suis fait un nouvel ami, Serge Gainsbourg. Je ne le connaissais pas auparavant ; j'ai découvert en lui un camarade plein de gaieté, qui m'a toujours réconfortée dans les moments où Je doutais de moi. Et cela m'arrive, malheureusement, assez souvent. Ainsi parle la douce, la calme, la discrète Marie Dubois (photo), héroïne de cette histoire où l'on voit grand papa-Simon réparer le ménage branlant de sa petite fille. C'est l'hiver dernier, dans « Ma femme », de Tchékhov, que l'on a vu Marie Dubois à la TV pour la dernière fois. Elle y reparaîtra à l'automne dans «L'Heure éblouissante », dramatique réalisée par Jeannette Hubert. « Je me suis fixé pour règle de ne pas accepter plus d'un rôle à la TV par an. Les acteurs que l'on voit trop à la TV sont gâchés pour le cinéma. Et j'ai le plus grand souci de ma carrière au cinéma.»