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L'écharpe et le goupillon

Dans l'ambiance de guerre froide de l'Italie d'après-guerre, Julien Duvivier orchestre l'affrontement bon enfant du curé belliqueux et du maire communiste d'un petit village de la plaine du Pô.

A la fin des années 1940, en Italie, un petit ouvrage réunissant trente-six nouvelles d'un journaliste peu connu, Giovanni Guareschi, et relatant la rivalité entre un curé et un maire communiste, pulvérise toutes les ventes en librairie. Dans le sillage de ce succès stupéfiant, Le Seuil, maison d'édition parisienne encore modeste, se risque à traduire en français ce Petit Monde de Don Camillo en 1951. Et c'est, d'emblée, le même engouement : il s'en vendra en France 1 200 000 exemplaires ! D'ailleurs, les traductions se multiplient à travers le monde. Les Américains s'empressent de prendre une option sur les droits d'adaptation cinématographique et l'illustre Frank Capra, le réalisateur d'Arsenic et vieilles dentelles, annonce qu'il envisage d'en faire une comédie musicale avec Bing Crosby. Projet cependant vite abandonné. Des producteurs français et italiens se mettent sur les rangs. On pense à Julien Duvivier pour la mise en scène même si, après avoir signé des chefs-d'œuvre tels que La Belle équipe ou La Fin du jour, sa cote n'est pas au plus haut en ce début des années 1950. Le réalisateur est séduit par « la spontanéité et le charme » de l'ouvrage, mais il n'ignore pas que le plus dur va être de trouver les acteurs susceptibles d'incarner idéalement Don Camillo et Peppone. Pour celui-ci, il y a déjà un postulant : Guareschi lui-même. Dubitatif. Duvivier lui fait faire «les essais qui ne se révèlent guère concluants, el l'écrivain a l'humilité de ne pas insister. De toute façon, pour Duvivier. il est indispensable de trouver Don Camillo — que Guareschi décrit comme "un assemblage d'os et de muscles, hors mesure" avant de chercher Peppone. Jacques Morel (qui, bien plus tard, deviendra le juge Fontanes à la télévision) est pressenti. Seulement, il joue avec Sacha Guitry au théâcre des Variétés et ne peut résilier son contrat. Duvivier n'en est guère fâché : il le trouvait trop rondouillard.

"Il ne me restera plus qu'à entrer dans les ordres pour de bon ! "

Six mois plus tard, après moult auditions infructueuses, le réalisateur a une idée de génie : pourquoi pas Fernandel ? Il a la truculence et la démesure du personnage, et Duvivier, quand il l'a dirigé en 1937 dans Un Carnet de bal, a eu un excellent contact avec lui. En outre, Fernandel vient de connaître un beau succès de box-offîce sous la défroque d'un moine inénarrable clans L'Auberge rouge, c'est justement à cause de cette Auberge que le comédien rechigne à endosser la soutane de Don Camillo. « Un moine ici, un curé là, grommelle Fernandel. encore un peu et il ne me restera plus qu'à entrer dans les ordres pour de bon... » Et, matois, il confie à son entourage : » Ce Don Camillo ne me dit rien. Je vais demander un cachet plus élevé que d'habitude, on me le refusera et je ne me fâcherai avec personne. » Peine perdue ! A peine at-il énoncé ses conditions que les producteurs les acceptent aussitôt et Fernandel se retrouve le dos au mur. sans savoir bien sûr qu'il vient de trouver là le rôle le plus populaire de sa carrière.

« S'il te plaît, Don Camillo, baptise ma poupée...»

Comme il est français et que la production est franco-italienne, c'est de l'autre côté des Alpes, pour faire bonne mesure, qu'on va recruter Peppone : ce sera Gino Cervi, acteur solide de cinéma, de théâtre et de télévision. Toutefois, c'est en se glissant dans les habits du maire communiste qu'il connaîtra enfin une célébrité internationale. Donc, à l'automne, Duvivier plante ses caméras dans la plaine du Pô, à une vingtaine de kilomètres de Parme, au village de Brescello que l'auteur Giovanni Guareschi connaît fort bien depuis sa plus tendre enfance. En débarquant à Brescello. Duvivier comptait sur la population locale pour participer activement à la figuration, mais il se heurte à une véritable hostilité : presque tous communistes, les villageois ne veulent pas paraître dans un film " qui les tournent en ridicule ". Heureusement, Guareschi est là qui les prend à parti : « Comment pouvez-vous me faire ça, vous communistes, à moi qui suis né un 1er mai ! » Son humour et ses grosses moustaches à la Staline font tomber les réticences. Le tournage peut démarrer sous les meilleurs auspices. Mieux : toute la population adopte Fernandel. Au point qu'un jour une petite fille lui colle aux basques de sa soutane, sa poupée sous le bras : « S'il te plaît, monsieur le curé, baptise mou bébé. » Elle insiste tant et si bien que Fernandel, de guérie lasse, finit par se pencher vers elle et lui explique, très sérieusement : «Je ne peux pas, je ne suis pas un vrai prêtre. » Alors, la petite fille, imperturbable : « Ça ne fait rien, monsieur le curé, mon bébé non plus n'est pas un vrai bébé... » Les premières projections privées vont se dérouler, elles, dans une atmosphère de consternation générale. Tous les invités conviés à donner leur avis avant la sortie en salles du Petit Monde de Don Camillo misent sur un échec sans appel, et, fou d'inquiétude, Julien Duvivier finit par admettre : « Ça ne marchera pas ». Ce sera un succès fabuleux ! En neuf mois, d'avril à décembre 1952, Le Petit Monde va attirer, en France, 6 660 000 spectateurs et, à l'été 1958,il en totalisera 12 271 000. Soit un million de plus que Le Pont de la rivière Kwaï. En Italie, tous les records sont également battus avec 2 313 000 entrées ! On imagine l'euphorie de l'équipe, d'autant plus grande que la plupart de ses membres ont accepté d'être payés au pourcentage, ce qui va enrichir nombre d'entre eux. A l'exception du scénariste, alors débutant : René Barjavel qui, lui, a été payé au cachet. Il fait même doublement grise mine, Barjavel : non seulement il ne recueille rien de la manne financière du film mais, suspectant sa bonne foi, le fisc va lui infliger d'office une amende pour non-déclaration de bénéfices. ■

Générique :

Sortie à Paris le 4 juin 1952


Production : Francinex, Rizzoli
Réalisation : Julien Duvivier (1952)
Scénario et dialogues : René Barjavel et Julien Duvivier
D'après le roman de Giovanni Guareschi
Directeur de la photographie : Nicolas Hayer
Musique : Alessandro Cigognini

Interprétation :
Don Camillo FERNANDEL
Peppone GINO CERVI
Mme Christina SYLVIE
Gina Filotti VERA TALCHI
Mariolino Brusco FRANCO INTERLENGHI
L'évêque CHARLES VISISIERES
Filotti LUCIANO MANARA
Brusco ARMANDO MIGLIARI
Le délégué MANUEL GARY
La femme de Peppone LEDA GLORIA
et la voix du Christ JEAN DEBUCOURT