Fric-Frac 1939 Maurice Lehmann Fernandel Arletty Michel Simon
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A couteaux tirés !

Devant la caméra, Fernandel et Michel Simon jouent l'amitié. Hors champ, ils se regardent en chiens de faïence. Mais ils n'en restent pas moins irrésistibles de drôlerie.

Alors qu'il vient à peine de terminer Berlingot et Compagnie de Fernand Rivers avec Suzy Prim et Charpin, Fernandel, dont la popularité ne cesse de grandir, se retrouve fin mars 1939 aux Studios d'Epinay. Directeur du Châtelet et producteur, Maurice Lehmann a en effet choisi de porter à l'écran la pièce à succès d'Edouard Bourdet, Fric-Frac Il a naturellement engagé Arletty et Michel Simon, créateurs de la pièce, mais a renoncé à Victor Boucher qui, sur scène, complétait le trio. A 59 ans, diminué qui plus est par la maladie, Boucher ne peut évidemment pas faire illusion dans le personnage encore jeune de Marcel. Car, contrairement aux feux de la rampe réputés pour offrir aux acteurs une vraie cure de jouvence, l'œil de la caméra, lui, est impitoyable. Donc, il faut le remplacer. Soit ! Mais par qui ? Par Fernandel, annonce Lehmann à Bourdet, alors administrateur de la Comédie-Française. Bourdet a une moue dédaigneuse : Ce Marseillais ! C'est qu'il le voit plutôt gugusse, ce Méridional au faciès chevalin, doté d'un comique peu compatible avec la finesse de son texte. Lehmann insiste. D'abord parce qu'il aime bien Fernandel, et surtout parce qu'il n'ignore pas, en producteur avisé, que la cote du comédien est au plus haut. Bourdet finit par acquiescer. Du coup, c'est au tour de Michel Simon de se montrer sceptique sur les capacités de Fernandel à lui donner la réplique. En apprenant les réticences de Simon, Fernandel commente, mi-figue mi-raisin : « Michel est évidemment un grand artiste. Mais, de toute façon, c'est moi la vedette puisque je suis plus commercial que lui ! »

Entre les deux monstres sacrés, le bras de fer est engagé. Il durera sournoisement tout au long du tournage. En fait, il avait commencé quelques années plus tôt, en 1934 précisément. Marcel Pagnol avait alors contacté Michel Simon pour tourner Angèle. Or, si le rôle avait, finalement échu à Fernandel. c'est tout simplement que Simon avait demandé très cher, trop cher pour Pagnol qui s'était rabattu sur le Marseillais. « Penser que Saturnin, le valet provençal, imaginé par un écrivain provençal et filmé par un cinéaste provençal, ça a failli être joué par un Suisse, ça fait mal au cœur. Vous vous rendez compte, un Suisse ! » s'indignait Fernandel. Bref, ces deux-là étaient prêts à se détester. Ils se détestent donc au premier coup d'œil. Les escarmouches ont lieu dès les répétitions. Comme il le fait toujours, Simon bougonne ses répliques au point de les rendre inaudibles (la chose avait déjà exaspéré Louis Jouvet). Et Fernandel de protester auprès de Lehmann, qui le rassure et l'apaise : « tu verras au tournage ». Et en effet, il voit. Car, dès qu'il entend « Moteur », Michel Simon vire au grandiose, exécute un numéro irrésistible auquel Fernandel ne résiste pas : « Ce couillon grimace tellement que je ne peux plus rien faire ! », s'insurge-t-il. Si bien qu'il faut faire huit à dix prises à chaque plan. « Entre Fernandel et Michel Simon, c'était inénarrable tellement ils se "bouffaient le nez", se souvenait Claude Autant-Lara (conseiller technique du film, mais à qui en réalité Lehmann avait laissé la responsabilité de la réalisation, tout comme il l'avait fait auparavant pour L'Affaire du courrier de Lyon et Le Ruisseau).

"Maintenant je tourne peu, pour me faire désirer. Je suis une vedette commerciale... "

Vous savez,quand on tourne un film, on fait un plan sur un acteur et le contre-champ sur celui qui est en face. Eh bien, avec eux, celui qui se trouvait de dos au début du plan se retrouvait systématiquement de face à la fin. Ils étaient très forts, mais ça ne paraissait pas tant ils faisaient cela avec habileté et aisance. C'était à mourir de rire...» A mourir de rire, peut-être... mais de rire jaune. Car, c'est bien simple, les deux lascars ne s'adresseront la parole que devant la caméra et pour les besoins du dialogue. Et Arletty de déplorer : « La rencontre de ces deux "gueules" ça n'a pas gazé. Fernandel n'a plus jamais voulu retourner une seule fois avec Simon, vous vous imaginez, des acteurs comme ça qui ne se retrouvent pas, c'est grave malgré tout. » Fric-frac est, en neuf ans de carrière, le cinquante-huitième film de Fernandel. L'acteur fait le point sur cette boulimie cinématographique avec Jean Oberlé du Journal qui vient l'interviewer sur le tournage : «J'ai eu cinquante-huit propositions cette année !.. Je n'en ai accepté que trois... Je ne peux pas me crever à la tâche quand même! Quand j'ai débuté, j'ai tourné onze films dans la même année pour m'imposer, me faire connaître. Maintenant, j'en tourne peu, pour me faire désirer. Je suis une vedette commerciale... Je sais que je fais rigoler les gens — et les directeurs de salle le savent bien, allez... Il y en a un, de l'Aveyron, qui m'a dit : "Monsieur Fernandel, je sais que vous pouvez être un comédien... Mais je vous préfère encore dans le vaudeville militaire." Eh bien, cet homme-là avait raison... Qu'est-ce que vous voulez, quand vous avez écouté un discours de Mussolini et qu'après onvous assène un film sérieux du genre "artistique", vous ne dormez plus de la nuit, vous êtes trop triste... Tandis qu'à un film de moi, on est sûr de rigoler, de voir la vie en rose pendant au moins deux heures... C'est toujours ça de gagné.»■

Générique :

Sortie à Paris le 15 juin1939

Production : Maurice Lehmann
Réalisation : Maurice Lehmann (et Claude Autant-Lara)
D'après la pièce de Edouard Bourdet
Adaptation et dialogues : Michel Duran
Directeur de la photographie : Armand Thirard, Louis Née
Musique : Casimir Oberfeld
Décors : René Renoux
Photographe de plateau : Roger Corbeau

Interprétation :

Marcel : FERNANDEL
Loulou : ARLETTY
Jo-les-bras-coupés : MICHEL SIMON
Mercandieu : MARCEL VALLEE
Renée Mercandieu : HELENE ROBERT
Monsieur Biain : RENE GENIN
P'tit Louis : ANDREX
Tintin : JACQUES VARENNES
Fernand : GEORGES LANNES

Jambon Fatal :

Dans le film, après avoir été arrêté par erreur par la police, Marcel/Fernandel rejoint Jo dans la chambre de Loulou pour une « petite bouffe ». Tout en se jurant une amitié éternelle, les deux compères vident une bouteille de rouge, si bien que Marcel, guère habitué à ces excès, se retrouve ivre et patraque. Jo s'interroge alors sérieusement sur le malaise de son « pote » : « Je me demande ce qui a pu te rendre malade comme ça? Ça doit être le jambon! » « Dans cette scène, Jo et Marcel devaient échanger des déclarations d'amitié, allait raconter Maurice Lehmann, mais Simon y mettait peu de conviction. Il fallut recommencer la prise plusieurs fois. Sous les projecteurs, le jambon transpirait. Enfin, la prise fut terminée. Le lendemain, Michel Simon se faisait porter malade : crise de foie, me confirmal'assurance. Quand il revint au studio, quarante-huit heures plus tard, c'est tout juste s'il n'accusa pas Fernandel et le jambon de l'avoir conjointement empoisonné. »