Florelle | Naissance : 1898 Décès : 1974 | Partager cette page sur Facebook : | Commentaire |
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1923
Jim Bougne, boxeur
1923
L'Affaire de la rue de Lourcine
1931
Atout coeur
1931
Faubourg Montmartre
1932
La femme nue
1932
Tumultes
1932
L'Atlantide
1933
Les misérables
1934
Liliom
1935
Le crime de Monsieur Lange
1935
Amants et voleurs
1937
Les anges noirs
1956
Le sang à la tête
1956
Gervaise
FLORELLE
Le destin cinématographique de Florelle appelle une intense nostalgie, celle d’une carrière qui débute avec faste sous la direction de Pabst, Lang et Renoir – sans parler de sa bouleversante incarnation de Fantine dans la plus belle version des « Misérables » – mais qui s’achève presque aussitôt : elle tourne quarante films entre 1930 et 1939, très souvent en tête d’affiche, mais n’apparaîtra plus ensuite que cinq fois à l’écran. Quelles qu’en soient les raisons – légèreté, insouciance ou déveine – on ne peut que le regretter, ce qu’elle ne manqua de faire elle-même tout au long des années d’après-guerre.
Née aux Sables-d’Olonne, la petite Odette Rousseau devient une vraie fleur de Paname lorsque ses parents décident de tenter leur chance à la capitale. Elle découvre, enfant, l’univers du music-hall et débute à treize ans, travestie en petit garçon, avant de se produire ensuite à la Scala et l’Ambigu et connaît le succès en chantant sous le nom aristocratique d’Odette de Vernières. Elle connaît la vie de tournées, de Munich à Constantinople ; au moins la rencontre d’un camarade, Jean Flor, lui inspirera-t-il le pseudonyme qui la rendra célèbre. Les années vingt lui apportent la célébrité : elle chante à la Cigale puis au Ba-Ta-Clan et participe à la revue de Rip au Théâtre des Capucines. En 1927, la voilà meneuse de revue au Moulin Rouge où elle succède à Mistinguett. Le cinéma, elle y a débuté à quatorze ans dans « Le masque d’horreur » (1912) d’Abel Gance ; dix ans plus tard, c’est pour Henri Diamant-Berger qu’elle tourne quatre films, dont trois avec Maurice Chevalier : « Gonzague » (1922), « L’affaire de la rue de Lourcines » (1923) - d’après Labiche, où elle joue sa femme, Norine - puis « Jim Bougne boxeur » (1924). Pour une tournée au long cours en Amérique Latine, elle abandonne tout. A son retour en France, elle se lie avec Henri Garat et renoue avec les tournées européennes.
Berlin sera l’étape décisive et les débuts du cinéma parlant son âge d’or. Elle se contente d’une chanson dans « Le procureur Hallers » (1930) et « Mon cœur incognito » (1930) mais « L’opéra de Quat’Sous » (1931) sera le premier fleuron de sa couronne. Pourtant Pabst ne l’imaginait pas dans le rôle de Polly Peachum : Florelle se teint en blonde, passe un bout d’essai et convainc le cinéaste. Son interprétation de « La chanson de Barbara » de Brecht et Kurt Weill demeure exemplaire. Pabst l’engage l’année suivante pour danser le cancan dans un flash-back de « L’Atlantide » (1932). Pour Robert Siodmak, elle joue Erna Kabisch, demi-mondaine assassinée dans « Autour d’une enquête » (1931) et surtout Ania, la petite amie infidèle de Charles Boyer dans « Tumultes » (1932).
En France, où le film de Pabst n’est pas encore sorti, Florelle n’hérite d’abord que d’un court rôle de chanteuse dans « Faubourg Montmartre » (1931) mais l’affiche de « Vacances » (1931) propose en gros plan sa blondeur et son sourire. « Le grand bluff » (1933) et « Mariage à responsabilité limitée » (1933) n’auront pas d’autre argument publicitaire. Elle joue Lolette, compagne et muse d’un peintre bohème dans « La femme nue » (1932). Le rôle de la Môme Crevette dans « La dame de chez Maxim’s » (1932) semble écrit pour elle par Feydeau. Deux films signés René Guissart seraient à redécouvrir, d’autant que le subtil Fernand Gravey y tient auprès d’elle la vedette : dans « Le fils improvisé » (1932), surprise en tendre compagnie par son vieux protecteur, Florelle prétend que Fernand est son fils ; dans « Passionnément » (1932), c’est un mari jaloux qui l’affuble de lunettes et de cheveux blancs pour qu’elle n’attire pas le regard des soupirants. En la dirigeant dans « Les Misérables » (1933), Raymond Bernard lui assure sa part d’immortalité : Fantine riant avec le godelureau qui la séduit et l’abandonne, Fantine fille mère condamnée par la société et réduite à la prostitution, Fantine à l’agonie, si touchante face à Charles Vanel et Harry Baur… qui mieux que Florelle a incarné le chemin de croix de la mère de Cosette ?
Fritz Lang, pour son unique film français, la distribue dans « Liliom » (1934) où elle est excellente en Madame Moscat, la foraine amoureuse et jalouse. Elle tient le rôle titre de l’adaptation filmée de l’opérette « Sidonie Panache » (1934) mais, même déguisée en zouave, elle doit laisser le premier rôle au comique troupier Bach. Dans « Une nuit de noces » (1935) où elle joue la chanteuse Sidonie de Valpurgis, c’est Armand Bernard qui tire la couverture à lui. « Les dieux s’amusent » (1935), adaptation du mythe d’Amphitryon, lui donne brièvement Henri Garat comme partenaire. Plus intéressant est le personnage d’Irma Lurette dans « Amants et voleurs » (1935), un troisième titre signé Raymond Bernard. Surtout, Jean Renoir lui donne le premier rôle féminin de l’un de ses meilleurs films, « Le crime de Monsieur Lange » (1935), celui de Valentine, la blanchisseuse amoureuse de René Lefèvre ; elle s’y révèle naturelle et spontanée, qu’elle chante « Au jour le jour, à la nuit la nuit » de Prévert et Kosma ou qu’elle tienne tête avec superbe à l’infâme Batala en lui lançant : « Quand je pense que j’ai pu dormir avec toi, j’en ai le mal de mer ! »
La suite de la décennie semble marquer le début de la fin. « La marmaille » (1935) l’affiche en vedette et elle y chante une chanson lors d’un repas de noces mais, au beau milieu de l’histoire, elle disparaît du film, laissant le premier rôle à Larquey. Elle sera encore tête d’affiche de « Gigolette » (1935), sombre mélo où elle joue Zélie, fille publique. « Les anges noirs » (1937), inspiré d’un roman de Mauriac, ou « Clodoche » (1938) ne lui proposent que des rôles d’appoint comme « Sixième étage » (1939) où elle joue l’épouse de Carette. Victime à trois reprises de graves accidents de voiture, elle semble mener sa vie à cent à l’heure sans ses préoccuper du futur. Lorsque le cinéma l’abandonne, elle perpétue une tradition familiale, ouvrant à Montmartre un bar « Chez Florelle ». Pendant l’occupation, elle se distingue par des actes de résistance et son appartement sera mis à sac par la gestapo. Si la fin de la guerre lui propose un retour à l’écran dans « Les caves du Majestic » (1944) - adaptation de Simenon où Albert Préjean, le Mackie de Pabst, joue Maigret - le personnage de Charlotte Donge n’hérite que de deux scènes. Un reporter de Ciné-Revue la retrouve rue Junot au début des années 50, « solitaire et perdue dans un bar désert dont elle n’est que gérante ». Elle se produit encore dans un tour de chant où renaissent ses succès d’antan mais le cinéma l’oublie : si, en souvenir de Renoir, elle retrouve René Lefèvre pour un sketch de « Trois femmes » (1951), son apparition est proche de l’anonymat. On imagine qu’elle ne fut guère dépaysée dans « Oasis » (1954) en Madame Natkine, patronne de « l’auberge des hommes bleus » aux portes du désert marocain. Sa carrière s’achève pourtant sur deux grands films. Dans la blanchisserie de « Gervaise » (1955), elle incarne Maman Coupeau, la mère de François Périer ; René Clément semble surligner les adieux au cinéma de Florelle lorsqu’il la filme en gros plan pour illustrer cette réplique d’un comparse : « Je demande du travail, on me dit que je suis trop vieux. » C’est Jean Gabin qui suggéra à Gilles Grangier de faire appel à elle pour jouer sa belle-mère, Sidonie Vauquier, dans « Le sang à la tête » (1956) : vieille femme amère vivotant grâce aux subsides de son gendre, elle tient parfaitement sa partition le temps d’une séquence.
La fête finie, Florelle renonce et rentre au pays natal où elle tiendra encore une guinguette et connaîtra une fin de vie rangée. Elle meurt en septembre 1974, anonyme et oubliée. Près d’un demi-siècle plus tard, il ne suffit pas hélas d’une rue Florelle aux Sables-d’Olonne pour ranimer son souvenir effacé !
Jean-Paul Briant