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Frank Villard et Antoine Balpetre
Frank Villard et Maurice Biraud
Jacques Marin Ginette Leclerc et Robert Dalban
Martine Carol et Bernard Blier
Martine Carol et Maurice Biraud
Interview d'Albert Simonin en 1971
Albert Simonin : "Je dois beaucoup à mes cinq années de bagne"
"TOUCHEZ pas au grisbi" est, pour son auteur, Albert Simonin, un titre antinomique. Publié le 3 janvier 1953, son livre, qui révolutionnait la Série noire, obtenait, le 22, le Prix des Deux Magots et passait déjà le cap des quarante-quatre mille exemplaires vendus. II en est,aujourd'hui, à cinq cent mille, et ça continue. Il va sans dire que, même en oubliant ses droits cinématographiques, Albert Simonin a pu sérieusement toucher à ce fameux grisbi qui, tout le monde le sait, est cet argent qui lui manqua si longtemps.
Le langage de la rue
Albert Simonin avait, en effet, quarante-sept ans quand il écrivit son best-seller. Nul, avant lui, n'avait su, depuis Balzac et Francis Carco, manier avec une si grande justesse le langage de la rue, mais il ne le savait pas. Il croyait avoir autre chose à faire. En attendant qu'il leur apporte cette langue imagée d'un argot vraiment français et vivant, les lecteurs de la Série noire devaient se contenter des approximations, d'ailleurs savoureuses, du slang américain. « C'est vrai, reconnaît Simonin, le « grisbi » a été la clef de ma fortune. » Il lui vient en héritage d'un séjour de cinq ans au bagne. « Je n'en tire aucune vanité, assure-t-il. Je n'en ai gardé que ce mot-là et ça me suffit. Je l'ai entendu de la bouche d'un « mac » de Nantes, un garçon charmant, qui jouait au bridge avec l'esprit d'un joueur de belote. Comme il perdait tout le temps, il marmonnait « Ah ! les enfoirés, ils vont encore me piquer mon grisbi ! » J'ai écrit « Le Grisbi », précise-t-il encore, parce qu'après tout, des voyous, nous aussi, nous en avons. Ce que je comptais surtout, c'est le chèque de l'éditeur. J'espérais qu'il me tirerait d'une situation critique. Ça s'est borné là. Je n'avais pas pondu « Le Soulier de satin » et je n'allais pas casser les vitres ! Quand le succès est venu, j'ai été moi-même miraculé. A vrai dire, je crois que j'ai eu un coup de chance parce que, cet hiver-là, une grippe terrible avait paralysé la capitale. Forcés de garder la chambre, des milliers de bourgeois passaient leur temps à lire et à se téléphoner.
« Je suis né à la Chapelle. A l'école, l'école communale de la rue de Torcy, notre directeur lui-même avait compris qu'ici, pour se faire respecter, il fallait parler argot aux mômes. Un bon quart d'entre eux se sont retrouvés, d'ailleurs, aux bataillons d'Afrique. Ces gens, je les ai vus tels qu'ils étaient et j'ai eu la chance de pouvoir accorder leur langue à leurs sentiments.
Attelé à une voiture
Dans ma jeunesse, j'ai exercé tant de métiers réputés indignes d'un intellectuel que mon vocabulaire s'en est trouvé influencé. A partir de douze ans et demi, pour la recherche des trois repas quotidiens qui a toujours été mon problème majeur, j'ai parcouru tous les terrains parisiens — je peux vous dire, par exemple, que le faubourg Saint-Denis, ça monte rudement ! attelé à cette voiture à bras qui, à l'époque, était la servitude de toutes les professions. Tous mes boulots d'enfant, je les ai pratiqués au ras du pavé, là d'où vous viennent, en bouffées, les bonnes expressions savoureuses. » Après avoir débuté dans la chemiserie de luxe, qui lui fait découvrir l'existence du pyjama, le petit Simonin, éternel apprenti, devient successivement électricien, mécanicien, fondeur et ramoneur. Un jour, il tombe d'un toit et, dégoûté des métiers manuels, entre dans une entreprise de « perles et brillants ». Là, il découvre, avec stupéfaction, le monde de l'argent et du luxe, les beaux vêtements, le langage châtié, tout un univers que le gosse de la Chapelle ne pouvait soupçonner. A son retour du service militaire, il travaille un an à la Bourse de Paris, puis devient téléphoniste à l'Agence Havas, journaliste sportif et, enfin, chauffeur de taxi pendant sept ans, de 1930 à 1937. C'est alors qu'il rencontre un collègue, Jean Bazin, surnommé « Le poète ». Ensemble, ils écrivent un reportage romancé sur la profession : « Voilà, taxi ». « Ça m'a donné une curiosité du côté de la littérature et, en 1935, m'a ouvert les portes du journalisme.»
Vingt-huit films
Auteur d'une dizaine d'ouvrages, parmi lesquels : « Du mouron pour les petits oiseaux », « Le Savoir-vivre chez les truands », « Lettre ouverte aux voyous » et le fameux « Petit Simonin illustré par l'exemple », Simonin en a actuellement deux autres en chantier : « Les Barbeaux à travers les âges » et « L'Histoire anecdotique de la fausse monnaie ». Au cinéma, depuis Le Grisbi », que tourna Jacques Becker, il a signé scénarios, adaptations et dialogues de vingt-huit films. Il prépare, enfin, pour cet été, son quatrième film avec Gilles Grangier, réalisateur du « Cave se rebiffe ». Albert Simonin habite toujours, dans le XVè, son petit appartement encombré de vieilles choses, où le piano voisine avec la cage à oiseaux. « J'ai manqué d'argent, dit-il en souriant, et j'en manque encore. Ce qui m'étonne, chez les jeunes, c'est leur inquiétude de l'avenir. Moi — c'est peut-être un réflexe de pauvre — je n'y ai jamais pensé. Nous n'avions d'inquiétude que pour le casse-graine quotidien ! Mon confort, aujourd'hui, c'est de pouvoir être un peu plus gentil avec mes amis et je ne sais par quel miracle j'ai atterri dans le « Who's Who» !»
Deux nouveaux personnages
LE succès de « Touchez pas au grisbi « fit écrire à Albert Simonin une suite en deux volumes : « Le cave se rebiffe » et « Grisbi or not grisbi , devenu, au cinéma, « Les Tontons flingueurs Dans « Le cave se rebiffe , deux nouveaux personnages apparaissent : celui du cave, interprété par Maurice Biraud, et celui du dabe, un faux monnayeur, que joue Jean Gabin. Voici la définition que donne « Le Petit Simonin illustré » de ces deux expressions : CAVE : Individu non affranchi, dévolu au rôle de victime et, de toute façon, pour le milieu, méprisable. Est réputé
cave : 1) celui qui tire sa subsistance d'une activité non délictueuse ; 2) celui qui, ayant l'occasion de commettre, sans risques, une action malhonnête, s'y refuse ; 3) celui qui paie les faveurs des femmes ou même, simplement, les honore des présents qu'autorisent les règles de la galanterie courante ; 4) celui qui, ayant l'occasion de tirer profit d'une infidélité de sa femme, s'y refuse et cherche à la ramener dans la voie de la vertu ; 5) celui qui est vulnérable à une arnaque quelconque, quelle que soit l'importance du dommage qu'il peut subir.
DABE :Personnage qui a l'autorité paternelle. Exemple : «Peur maquiller un chèque, il restait sans rival sur la place ; c'est son dabe qui l'avait formé. »