Roger Legris | Naissance : 1898 Décès : 1981 | Partager cette page sur Facebook : | Commentaire |
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1934
Les nuits moscovites
1935
La Kermesse héroïque
1936
Razumov : Sous les yeux d'occident
1936
La belle équipe
1936
Un mauvais garçon
1936
Pépé le moko
1937
Courrier sud
1937
Un carnet de bal
1937
Rendez-vous Champs-Elysées
1938
Le quai des brumes
1938
Mollenard
1938
Le récif de corail
1939
Bécassine
1939
Raphaël le tatoué
1939
Vidocq
1941
Le dernier des six
1948
L'assassin est à l'ecoute
1951
Une fille à croquer
1956
Les indiscrètes
1959
Les affreux
1959
Le fric
1961
Snobs
1964
La grande frousse
1966
La bourse et la vie
1967
Les compagnons de la marguerite
1969
L'étalon
Roger LEGRIS
Au détour de combien de films des années 30 avons-nous vu surgir ce ludion ahuri à la crinière frisotante, au regard éberlué et au physique malingre ? Sa présence insolite, décalée, intrigue d’autant plus que, si ses apparitions sont souvent brèves, le choix des films et des cinéastes suscite un a priori favorable. Comédien de théâtre, il a de bonnes références puisqu’on le retrouve à la fin des années vingt dans la compagnie Gaston Baty dont il sera le régisseur. Au début des années 30, il anime la troupe Prémices, proche de Jacques Prévert et du groupe Octobre. On le retrouve en 1941, au Théâtre de la Porte Saint-Martin, défendant un célèbre mélo, « Les deux orphelines », avec Blanchette Brunoy et Henri Bosc.
« Dans les rues » (1933) de Victor Trivas est son premier film : il y paraît sous le nom de Moutarde, membre d’une bande de cambrioleurs. Alors qu’on l’appelle « le vicomte » dans « Un mauvais garçon » (1936), il y tient en apparence le même emploi comme dans « Un carnet de bal » (1937) où, complice de Jouvet, il participe au meilleur sketch. Surtout, dans un autre Duvivier, « Pépé le Moko » (1936), il forme tandem avec Gaston Modot - le bandit au bilboquet - et joue l’acolyte ricanant de Gabin, quasi-muet, dépoitraillé, hilare même au moment du meurtre du délateur.
Il pointait au rayon des chefs d’œuvres dès « La kermesse héroïque » (1935) de Feyder qui en fait le mercier de la petite ville de Boom. Dans la foulée, il se fend de deux apparitions chez Max Ophuls : un saint-cyrien dans « La tendre ennemie » (1935) et un domestique dans « Le roman de Werther » (1938). Simple garçon d’hôtel, il participe à la fête organisée par « La belle équipe » (1936) qui vient de gagner à la loterie ; le rôle est un peu plus consistant dans « Quai des brumes » (1938) où il sert au couple Gabin-Morgan un petit-déjeuner assaisonné de ses répliques d’oiseau de mauvais augure.
Lorsqu’il n’exerce pas un métier étrange – comme le taxidermiste de « L’assassin est à l’écoute » (1948) - il rend étrange la moindre apparition, qu’il soit photographe dans « Sous les yeux d’occident » (1936) ou « Le dernier des six » (1941), opérateur radio dans « Mollenard » (1937) et, plus tard, dans « Atoll K » (1950). Dans une scène amusante de « Raphaël le tatoué » (1938), il s’ingénie à pousser à bout l’irascible Aimos à coup d’évidences débitées d’une voix traînante. On est moins indulgent pour sa prestation dans le triste « Bécassine » (1939) ; dans le rôle d’Hilarion, le domestique coincé, il bénéficie malgré tout d’un bon nombre de scènes et il n’est pas interdit de sourire aux querelles qui l’opposent à Paulette Dubost lorsqu’elle lui lance, vacharde : « Vous avez des réflexions de bigorneau ! »
Récidiviste, il tourne deux autres films avec le piètre Caron, dont « Pension Jonas » (1941), considéré à l’époque comme un sommet d’imbécillité : on ne lui en veut pas car il y dort presque tout le temps sous prétexte que son personnage se nomme Marmotte. Mais le pire était à venir : il suit son ami Le Vigan dans sa dérive collaborationniste, ce qui lui vaut une condamnation à la Libération. Quasi-absent des écrans pendant plusieurs années, il subit un purgatoire justifié qui semble mettre le point final à sa carrière. Sacha Guitry jette le voile de l’amnésie sur cet opprobre en lui confiant le rôle de l’idiot du village, muet et sautillant, joyeux et farceur, dans « Le trésor de Cantenac » (1949).
Sa carrière redémarre en pointillé dans les années 50, grâce à Raoul André ou Marc Allégret qui le distribuent dans quelques films ; on l’aperçoit même dans « Le gantelet vert » (1950) de Rudolph Maté mais c’est Jean-Pierre Mocky qui repère son « regard de fou » sur le tournage de « La tête contre les murs » (1958) et lui donne l’occasion de se faire remarquer au centre de sa galerie familière de trognes improbables. Avec sa mine de vieux moineau au plumage blanc, il participe à sept films du cinéaste, à commencer par « Snobs ! » (1961) où il shampooine le crâne dégarni de Pasquali. Cul-bénit - si l’on en croit Mocky - il avait toute sa place comme sacristain de Saint-Etienne-du-Mont dans « Un drôle de paroissien » (1963). « Homme qui a eu des malheurs et n’aime pas les plaisantins », il est pharmacien – et assassin - dans « La grande frousse » (1964). Après un nouveau rôle de pharmacien dans « La bourse et la vie » (1965), le voilà président du tribunal dans « Les compagnons de la marguerite » (1966) et père de Francis Blanche dans « La grande lessive » (1968). Président de l’Assemblée dans « L’étalon » (1969), il y trouve son dernier rôle.
Aux dires de Mocky, la famille de Legris comptait nombre d’ecclésiastiques ; à la longue, il ne goûta guère la veine anticléricale du cinéaste et se fâcha définitivement avec lui. Le comédien termina sa vie dans la grisaille à laquelle le prédestinait son nom, cultivant probablement le remords de s’être laissé entraîner sur une pente maudite.
Jean-Paul Briant